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— La glorification de l’assassinat a-t-elle jamais été poussée plus loin ! — ajoute Lanoüe, après la lecture de cette royale cédule. — Ah ! monsieur l’amiral, vous l’avez dit souvent ! vous comme moi, comme tant d’autres, nous sommes attachés de cœur, de principes, sinon aux rois, du moins à la royauté ; mais cette famille de Valois se couvrira de tant de crimes, qu’elle inspirera la haine de la monarchie ! Ne voyons-nous pas ce désir de se fédérer républicainement, ainsi que les cantons suisses, désir déjà commun à grand nombre d’esprits honnêtes, faire chaque jour de nouveaux progrès !

Nicolas Mouche paraît en ce moment au seuil de la porte. — Je gage, — pense-t-il, — je gage que l’eau de chicorée a encore été oubliée. — Puis, s’approchant de son maître. — Eh bien ! monsieur l’amiral… l’heure est écoulée ?

— Quoi ! — répond M. de Coligny, absorbé par de pénibles pensées éveillées en lui par les prophétiques paroles de Lanoüe, — que veux-tu dire ?

— Et votre tisane ? — reprend l’écuyer. Puis se tournant vers l’ami de son maître : — Monsieur de Lanoüe, je vous en supplie, joignez-vous à moi pour faire entendre raison à M. l’amiral ; il sait que son chirurgien, M. Ambroise Paré, lui a surtout recommandé l’usage de l’eau de chicorée en campagne, M. l’amiral restant souvent douze à quinze heures à cheval sans débotter. Eh bien ! il ne veut pas suivre l’ordonnance du médecin… Je voulais vous cacher cette affligeante vérité, monsieur de Lanoüe… mais cela ne m’est plus possible…

— Vous entendez les doléances de ce digne serviteur, monsieur l’amiral ? — reprit Lanoüe en souriant. — Je conviens qu’il a raison…

— Allons, allons… qu’il en soit ainsi que le désire M. Nicolas ! — répond M. de Coligny ; et prenant sur la table le pot de grès, il en contemple un moment le contenu verdâtre avec une visible répugnance ; mais la surmontant, il porte le vase à ses lèvres…