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— Pauvre père ! — pensait le vieil écuyer, en suivant Odelin des yeux, — pourvu qu’il ne coure pas au devant d’une cruelle déception. — Puis se rapprochant afin de s’assurer que l’écritoire de son maître ne manquait pas d’encre, Nicolas Mouche jette un regard sur le vase de grès, le voit plein jusqu’aux bords et s’écrie : — M. l’amiral n’a pas seulement bu une gorgée de son eau de chicorée ! En vérité ! il est, quant aux soins à prendre de lui-même, aussi insoucieux qu’un enfant ! ! Justement, le voici… il n’échappera point à la semonce. — Et s’adressant à M. de Coligny qui rentrait dans sa chambre après la prière, l’écuyer lui dit d’un ton de reproche familier qu’autorisent ses longs services : — Eh bien, monsieur l’amiral ? et votre eau de chicorée ? Ce pot est aussi plein que lorsque je vous l’ai apporté à votre réveil…

— C’est vrai, — reprit M. de Coligny en souriant. — Mais tu rends ce breuvage si terriblement amer, que je retarde le plus possible l’heure de le boire.

— Voilà-t-il pas une belle raison, monsieur l’amiral ? L’amertume de ce breuvage le rend surtout efficace !

— Ne te courrouce pas…

— Monsieur, vous allez boire tout de suite… devant moi !

— Nicolas, écoute…

— Point, point, monsieur l’amiral ! vous voulez temporiser… À d’autres ! vous boirez à l’instant…

— Voyons, composons… Je te promets d’avoir bu tout ce pot avant une heure…

— En ce cas, je le considère comme avalé… Je sais, monsieur, ce que vaut une promesse de vous… me voilà tranquille.

— Nos chevaux sont-ils sellés et bridés ?

— Oui, monsieur. Si nous montons à cheval ce matin, j’emmènerai, pour conduire vos relais, Julien, le Basque et Dominique. Ce pauvre garçon, malgré sa mésaventure d’avant-hier, qui pouvait lui coûter cher… mais heureusement il a pu s’échapper du camp