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ses serviteurs, afin d’entendre en commun la prière faite chaque matin au camp des huguenots et appelée : prière du corps de garde. Les officiers et soldats du poste placé dans le logis de l’amiral, joints à ceux de quelques postes voisins, remplissaient la cour du prieuré ; debout, tête nue, silencieux, ils attendaient avec recueillement l’heure d’élever leur âme à Dieu ; vieux soldats à barbe grise, couturés de blessures ; jeunes enrôlés touchant encore à l’adolescence, riches gentilshommes élevés dans les loisirs des châteaux, laboureurs accourus, ainsi que les bourgeois et les artisans des cités, à la défense de l’Église du désert, tous animés d’une foi ardente, s’unissaient sous le niveau de l’égalité évangélique ; le seigneur, combattant côte à côte de son vassal pour la sainte cause de la liberté de conscience, ne voyait plus en lui qu’un frère. Ainsi germaient chez les protestants ces tendances de fraternité républicaine mortelle aux distinctions de caste et de race plus enracinées que jamais chez les royalistes. Une légère rumeur, témoignage de l’affection et du respect qu’il inspirait, accueillit l’arrivée de l’amiral de Coligny. Sa haute taille s’était voûtée par suite des rudes fatigues de tant de guerres ; ses cheveux, blancs comme sa barbe, la pâleur de son noble visage, profondément altéré depuis la perte de son frère traîtreusement empoisonné, donnaient à la physionomie du chef suprême des armées protestantes une expression vénérable et touchante ; couvert de pied en cap d’une armure de fer bruni sans aucun ornement et à demi cachée par la casaque flottante ou saie de drap blanc, signe de ralliement des huguenots, il avait la tête nue ; près de lui se tenait le brave François de Lanoüe, gentilhomme breton, atteignant à peine la maturité de l’âge ; le courage, la droiture, la bonté, se lisaient sur sa figure mâle et loyale ; une sorte de bras d’acier, artistement forgé par Odelin Lebrenn, et à l’aide duquel M. de Lanoüe pouvait conduire son cheval, remplaçait le bras perdu à la bataille par le hardi capitaine. Une légère rumeur salua la venue de l’amiral, puis un profond silence se fit parmi les soldats rassemblés