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moine, et faisant un pas vers Anna-Bell, lui dit gravement : — Si vous avez conservé quelques sentiments de piété, malgré votre vie infâme, voulez-vous, selon la coutume catholique, vous confesser à ce cordelier avant de mourir, et recevoir de lui l’absolution ?

— Oui, oui ! — répond Anna-Bell palpitante, dans l’espoir de prolonger sa vie de quelques instants… Soudain l’on entend au dehors le bruit d’une nombreuse cavalerie ; presque aussitôt le prince Frantz de Gerolstein entre dans la chapelle. Petit-fils de Karl de Gerolstein qui, en l’année 1531, assistait à la réunion des réformés dans la carrière de Montmartre, ainsi que Christian Lebrenn, l’imprimeur, ce jeune homme a vingt-cinq ans ; la courte visière de son morion découvre ses traits d’une régularité parfaite : ils expriment à la fois la bienveillance et la résolution ; d’une taille svelte et robuste, sa lourde cuirasse noire à la reître et ses épais brassards ne semblent pas lui peser ; ses chausses bouffantes, de drap écarlate, disparaissent à demi sous ses grandes bottes de cuir fauve à éperons d’argent ; une large ceinture de taffetas blanc, signe de ralliement des protestants, est nouée à son côté. À peine entré dans la chapelle, et cherchant des yeux Anna-Bell qui, n’ayant pu encore l’apercevoir, s’est traînée défaillante vers le moine, le prince dit au franc-taupin : — Qu’ai-je appris par vos compagnons qui dressent ici un bûcher ? Vos vedettes ont arrêté une fille d’honneur de la reine… et l’on parle de poison ?

le franc-taupin. — Oui, prince… cette prostituée voulait vous empoisonner…

frantz de gerolstein. — Allons, vieux Joséphin… je ne saurais, par modestie, croire à cela… Catherine de Médicis réserve ses faveurs pour de plus puissants que moi…

Anna-Bell, à la voix et à la vue de Frantz de Gerolstein, s’élance vers lui, se jette à ses genoux et s’écrie : — Non ! non ! monseigneur !… ne les croyez pas !… Oh ! par pitié ! daignez m’entendre… je ne vous demande que cela, à genoux, les mains jointes ! daignez m’entendre !…