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le franc-taupin, d’un air défiant. — Tu viens, dis-tu, de Meilleret ? À quelle heure es-tu partie de cette ville ?

anna-bell. — Vers une heure du matin.

le franc-taupin. — Tu mens !… Il est à peine cinq heures… tu voyageais en litière, et il faut plus de huit heures pour venir de Meilleret ici à cheval en pressant sa marche.

anna-bell, tremblante et balbutiant. — Monsieur… je vous assure… je… enfin, je vous en conjure, faites-moi conduire près du prince de Gerolstein… c’est la seule grâce que je réclame de votre bonté…

Le franc-taupin, frappé de l’insistance avec laquelle la fille d’honneur demande d’être menée vers Frantz de Gerolstein, la contemple avec un redoublement de défiance, et, après réflexion, il dit soudain : — Fouillez cette femme !

Deux huguenots fouillent les poches d’Anna-Bell ; ils en retirent une bourse, une lettre, et le flacon d’or renfermant le philtre qui fait aimer… Le franc-taupin ouvre la lettre, déjà décachetée, la lit tout bas, semble interroger le sens d’un passage de cette missive, reste un moment pensif ; puis, frémissant et frappé d’une révélation subite, il lance un coup d’œil terrible sur la fille d’honneur, examine en silence le flacon d’or, et le montrant à Anna-Bell : — Femme, que contient ce flacon ?

anna-bell, éperdue. — Ce… ce flacon…

le franc-taupin. — Femme… que contient ce flacon ?

anna-bell, avec effort. — Je… je… ne sais…

le franc-taupin, avec un éclat de rire sardonique. — Ah ! tu ne sais pas ?…

Il s’approche lentement de la jeune fille, la saisit par le bras, et ajoute, en approchant le flacon de ses lèvres : — Bois cela !…

anna-bell, épouvantée. — Grand Dieu !

le franc-taupin. — Bois cela !…

anna-bell, défaillante, tombe à genoux. — Grâce !… grâce !…

le franc-taupin, d’une voix tonnante. — Empoisonneuse !