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nier. Les traits de l’artisan, si soucieux la veille lors de son entretien avec son fils, s’étaient éclaircis : Hervé, de retour de l’église de Saint-Dominique longtemps après l’heure où l’on se mettait d’habitude au travail dans la maison de M. Estienne, et voyant son père surpris et mécontent de cette nouvelle absence, lui avait hypocritement dit :

— De grâce, ne me jugez pas sur les apparences ; soyez-en certain, mon père, je redeviendrai digne de vous… vous me pardonnerez un moment de funeste égarement. Je commence à reconnaître le danger de l’influence que je subissais aveuglément.

Puis Hervé s’empressa de regagner le temps perdu en se livrant activement au labeur. Bientôt l’entretien des ouvriers de l’imprimerie revenant par hasard sur la vente des indulgences, qu’ils flétrissaient avec une nouvelle énergie, Hervé, loin de prendre avec emportement, ainsi qu’il l’avait fait naguère, la défense de ce trafic, resta muet et parut confus ; Christian augura bien du silence et de l’embarras de son fils.

— Notre entretien d’hier a sans doute porté ses fruits, — se disait l’artisan ; — ce malheureux enfant aura ouvert les yeux à la lumière, il aura reconnu l’abîme où le fanatisme le poussait. Patience, les principes dans lesquels je l’ai élevé reprendront le dessus, j’ai maintenant lieu de l’espérer.

Vers la fin de la journée, averti que maître Robert Estienne voulait l’entretenir et le priait de suspendre son départ, Christian songeant qu’en ne rentrant pas chez lui avant la nuit, selon sa coutume, il risquait d’inquiéter Brigitte, chargea son fils de l’instruire de la cause d’un retard dont elle aurait pu s’alarmer ; puis, demeuré seul dans l’atelier, il continua, à la lueur d’une lampe, de mettre en page un livre latin ; il fut interrompu dans cette occupation par l’un de ses amis, nommé Justin, pressier de l’imprimerie. Quelques labeurs urgents l’avaient retenu dans une pièce voisine ; surpris de trouver encore Christian à l’ouvrage, il lui dit :

— Je ne comptais pas te rencontrer encore ici.