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en monnaie divine de salut éternel par le Tout-Puissant, sur qui nous, banquiers des âmes, nous avons tiré en votre nom… et vous hésiteriez à assurer à si peu de frais votre part des célestes jouissances des bienheureux ? Non, non, vous n’hésiterez pas, mes frères, à m’acheter mes indulgences ! — ajouta le dominicain en reprenant un air paterne et familier. — Ce n’est pas tout, mes frères ; mes indulgences ne sauvent pas seulement les vivants, elles sauvent les morts ; oui, les morts, fussent-ils aussi endurcis que Lucifer ! Mais comment, me direz-vous, tes indulgences sauvent-elles les morts ? Comment elles les sauvent ? — s’écria le marchand de salut en faisant de nouveau éclater sa voix formidable. — Est-ce que vous n’entendez pas vos parents, vos amis, même des inconnus, mais qu’importe, puisque vous êtes chrétiens ? est-ce que vous n’entendez pas leur effroyable concert de malédictions, de hurlements, de grincements de dents, qui s’élève du fond des abîmes de feu où se tordent dans la fournaise ces pauvres âmes du purgatoire… en attendant que la miséricorde de Dieu ou les bonnes œuvres les délivrent de leur épouvantable supplice ? Est-ce que vous n’entendez pas, misérables pécheurs ! les gémissements lamentables de ces malheureux qui, du fond du gouffre où les flammes les dévorent, vous crient : — Ô cœurs de pierre ! nous endurons un épouvantable supplice, une aumône nous délivrerait… vous pouvez la donner… et vous ne la donnez pas ?… — Vous ne la donnerez pas, mes frères ? Et moi je dis que vous la donnerez, cette aumône, quand vous saurez qu’à l’instant même où votre écu tombera dans le coffre que voici (il le montre), crac… psitt… l’âme s’élance du purgatoire et s’envole dans le ciel, comme une colombe délivrée ! »

L’auditoire du dominicain parut, en majorité, peu soucieux de la délivrance des âmes en peine ; il y avait dans cette croyance superstitieuse, si aveugle qu’elle fût, un certain côté charitable peu accessible aux fidèles attirés par l’unique but de pouvoir, en achetant des indul-