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agenouillés se relevèrent, et tous les yeux se tournèrent impatiemment vers le chœur. Hervé, l’un des premiers prosterné, se redressa l’un des derniers, en proie à une angoisse profonde ; la sueur baignait son visage devenu livide, il respirait à peine, il attacha un regard presque égaré sur fra‑Girard, et lui dit d’une voix entrecoupée :

— Ah ! si je pouvais croire à tes promesses !… Le moment est venu d’y croire… et je tremble !…

— Homme de peu de foi ! — répondit sévèrement le cordelier en montrant à Hervé le commissaire apostolique qui se préparait à prendre la parole, — écoute… et repens-toi de tes doutes…

Un profond silence se fit ; le marchand d’indulgences retroussa gaillardement les manches de son froc, ainsi que l’eût fait un bateleur de la foire, afin de n’être pas gêné dans les mouvements désordonnés dont il accompagnait son débit, et désignant du geste la croix rouge dressée à côté de lui, il s’écria d’une voix de stentor qui fit trembler les vitraux de l’église :

« — Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit… Amen ! … Vous voyez bien cette croix, mes chers frères, eh bien, cette croix a autant d’efficacité que la croix de Jésus-Christ ! Vous me demanderez pourquoi ? Je vous répondrai que cette croix est pour ainsi dire l’enseigne des indulgences que notre saint-père m’a chargé de dispenser. Mais que sont ces indulgences ? me demanderez-vous encore. Ce qu’elles sont, mes frères ? Elles sont le don le plus précieux, le plus miraculeux, le plus merveilleux, que le Seigneur ait jamais octroyé aux fidèles !… Donc, venez, venez à moi ! je vous donnerai des lettres munies des sceaux de notre saint-père ; et grâce à ces lettres, mes frères, le croiriez-vous ? non-seulement les péchés que vous avez commis vous seront pardonnés, mais vous aurez l’absolution des péchés que vous auriez envie de commettre[1] !… »

— Entends-tu ?… — dit tout bas fra‑Girard à Hervé. — L’on

  1. Ce sermon tout entier est textuel. Voir Merle d’Aubigné, Hist. de la Réforme au XVIe siècle, t. I, p. 525 à 552. Paris, 1853, chez Ducloux, libraire, n° 2, rue Tronchet.