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Le fils de Christian atteignait sa dix-huitième année ; sa figure, naguère encore ouverte, joyeuse, vermeille, et respirant la franchise, le bonheur, était devenue pâle et sombre ; son regard, d’une mobilité inquiète, fuyait le regard. La présence inattendue de ses parents parut d’abord lui causer une impression pénible, embarrassante ; mais se reprochant sans doute cette fausse honte, il dit résolument, mais sans lever les yeux :

— Je me donnais la discipline… Je croyais être seul…

— Mon fils, — reprit l’artisan, — puisque te voici levé, assieds-toi là… ta mère et moi, nous avons à t’entretenir, nous serons mieux ici que là-haut, où nous pourrions, en causant, réveiller ta sœur.

Le jeune homme, assez étonné, s’assit sur un escabeau ; Christian s’assit à son tour ; Brigitte resta debout près de lui, accoudée sur son épaule et ne quittant pas son fils des yeux.

— Mon ami, — reprit Christian, — je dois d’abord t’assurer que nous n’avons jamais songé à contrarier les pratiques religieuses auxquelles, depuis peu de temps, tu te livres avec la fougueuse ardeur d’un néophyte ; mais puisque l’occasion se présente, je te ferai à ce sujet quelques observations toutes paternelles.

— Je vous écoute, mon père.

— Tu as été élevé par nous, ainsi que ta sœur et ton frère, dans la doctrine évangélique selon ces principes du Christ : « Aimez-vous les uns les autres ; — ne faites à autrui ce que vous ne voudriez pas que l’on vous fît ; — pardonnez les offenses ; — plaignez les méchants ; — secourez les affligés ; — honorez les repentis ; — soyez laborieux et probes. » — Ce peu de mots résument la morale éternelle dont ta mère et moi nous t’avons toujours prêché l’exemple depuis ton enfance ; lorsque tu as eu l’âge de raison, j’ai tâché de te pénétrer de cette croyance de nos pères : que nous sommes immortels âme et corps, et qu’après ce que l’on appelle la mort, moment de transition entre l’existence qui finit et celle qui recommence, nous allons renaître, ou plutôt continuer de vivre, esprit et matière, dans