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— Écoute-moi, Brigitte. Il y a quelques jours… et ce souvenir a été l’une des causes qui ont éveillé mes soupçons… il y a quelques jours, à l’atelier, l’un de nos compagnons de travail s’indignait du trafic des indulgences qui, depuis peu de temps, s’exerce à Paris, et disait, à ce propos, qu’en outre de l’immoralité de ce négoce pratiqué au nom du pape, l’argent ainsi extorqué à l’ignorance, à la crédulité populaire, pouvait être considéré comme le fruit d’une fourberie ; sais-tu ce qu’a répondu notre fils ?

— Achève… achève…

— Il s’est écrié : « — Cela est faux ! cela est impie ! l’argent employé à une œuvre pie, fût-il le fruit d’un véritable vol… j’irai plus loin… d’un meurtre… cet argent est épuré, sanctifié, dès qu’il est employé à la plus grande gloire du Seigneur. »

— Hervé a dit cela ?

— Malheureusement, il l’a dit…

Brigitte pâlit et murmura d’une voix étouffée par les sanglots :

— Ah ! maintenant j’ai peur… moi aussi, j’ai peur !…

— Comprends-tu que si notre fils a commis la honteuse action dont nous hésitons à le croire coupable, ce malheureux enfant aura, dans son aveugle fanatisme, cru faire un acte méritoire si le fruit de son larcin a été employé à une œuvre pie ?…

Au moment où Christian prononçait ces mots, il entendit, d’abord au loin et bientôt sur le pont au Change, le bruit retentissant de plusieurs grosses sonnettes et le grincement aigu des crécelles, interrompus çà et là par une psalmodie lugubre, après quoi le fracas des sonnettes et des crécelles redevint assourdissant. L’artisan, non moins surpris que sa femme, se leva, ouvrit la fenêtre, et vit défiler une longue procession ; à sa tête marchait un détachement d’archers du guet portant leur arbalète sur l’épaule gauche, et à leur main droite un gros cierge allumé ; puis venaient des moines dominicains au froc blanc à capuchon noir, agitant les sonnettes et les crécelles ; derrière eux s’avançait un chariot traîné par deux