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ce récit, Odelin, absent de Paris, voyageait en Italie avec son patron, celui-ci étant allé à Milan étudier les procédés de fabrication des armuriers milanais, aussi célèbres que ceux de Tolède. Le premier étage de la demeure de Christian se composait de deux chambres ; il occupait l’une avec sa femme Brigitte, et leur fille Hêna occupait l’autre. Enfin, un galetas s’étendait sous les combles de la maison et avait vue sur la rivière.

Ce soir-là, Christian s’entretenait avec sa femme ; il faisait nuit depuis longtemps, les enfants reposaient, une lampe éclairait la chambre des deux époux. On voyait les métiers à broder de Brigitte et d’Hêna près de la fenêtre aux petites vitres en losange enchâssées dans des nervures de plomb ; au fond de cette pièce, assez vaste, le lit de noyer surmonté de son ciel, enveloppé de ses rideaux de serge verte ; plus loin, une petite bibliothèque où sont rangés les livres à l’impression desquels Christian et son père ont concouru dans l’atelier d’imprimerie de maîtres Henri et Robert Estienne, entre autres une Bible de poche reliée en basane noire, à fermeture et à coins de cuivre. En face de cette bibliothèque est un bahut de chêne assez curieusement sculpté ; là Christian renferme les reliques, les légendes de sa famille, et ce qu’il possède de précieux. Au-dessus de ce bahut, une vieille arbalète et une hache de guerre sont accrochées au mur ; car il est utile d’avoir des armes chez soi pour repousser les attaques des bandits, de plus en plus audacieux. Deux coffres à sièges recouverts de cuir et destinés à renfermer les hardes, quelques escabeaux complètent le modeste ameublement de cette chambre. Christian est profondément soucieux ; Brigitte, non moins soucieuse que lui, abandonne son travail de broderesse, qu’elle accomplissait à la clarté de la lampe, se rapproche de son mari ; celui-ci, le regard fixe, le coude sur son genou et le front dans sa main, dit à sa femme :

— Oui, la personne qui a volé cet argent dans le bahut, ici, en cette chambre, et sans briser la serrure de ce meuble, doit hanter familièrement la maison.