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honnête homme, quoiqu’il vécût dans tous les dérèglements que pouvaient causer en lui la meschante éducation qu’il avait reçue de ses parents et les mauvaises habitudes qu’il avait contractées à la cour, et qui se fortifiaient tous les jours avec son âge, parmi la licence des armes, mais tout mondain et tout débauché qu’il était, il gardait de la bienséance jusque dans ses désordres… Il n’aimait point le scandale, et bien qu’il fût délicat sur le point d’honneur, et que sa fierté naturelle le portât à tirer raison de la moindre injure, il pardonnait tout dès que l’on se soumettait… Il ne manquait point d’habileté dans les affaires… Cependant, la vanité occupait tout son esprit, la galanterie et les exercices militaires partageaient sa vie, il ne suivait, dans toutes ses actions, que le penchant d’une nature corrompue et de fausses maximes du monde… En 1521, défendant le château de la ville de Pampelune, contre les Français qui l’attaquaient, il fut blessé d’un éclat de pierre à la jambe gauche, et d’un boulet de canon à la jambe droite, qui fut cassée… La jambe cassée ne fut pas si bien guérie qu’il n’y restât une difformité résultant d’un os qui avançait au-dessous du genou, ce qui l’empêchait d’être proprement chaussé ; la vanité qui le faisait aimer les bonnes grâces, le porta à faire couper cet os ; l’opération fut extrêmement douloureuse ; mais ce ne fut pas encore le dernier des tourments que voulut souffrir Ignace, afin de n’avoir rien de disgracieux dans sa personne ; une de ses cuisses s’étant retirée depuis sa blessure, lui faisait craindre de rester boiteux ; pour y remédier, il se mit comme à la torture pendant plusieurs jours, en se faisant violemment tirer la jambe avec une machine de fer… mais il resta toujours boiteux depuis. Comme il était obligé de garder la chambre, on lui apporta, pour se distraire, la vie des saints, etc. etc.

» … Depuis son arrivée à Paris, Ignace travailla de son côté à arrêter le cours que les nouvelles hérésies prenaient en France. Sa principale occupation était de dresser les plans de son grand dessein et de se former des disciples…

» Ignace se retirait souvent dans l’une des carrières de Montmartre, qui lui représentait sa caverne de Manrez, et là, il vaquait à la contemplation des choses divines…

» Le jour de l’Assomption de l’an 1531, Ignace, Lefèvre, François Xavier et quatre Espagnols, Lainez, Salmero, Bobadilla et Rodriguez, se rendirent à Montmartre, où, après une messe dite par Lefèvre depuis peu revêtu de la prêtrise, ils lurent tous les sept à haute voix, le serment d’aller se jeter aux pieds du pape, pour lui offrir leurs services, et aller sous ses ordres partout où il voudrait les envoyer, etc., etc. »

Il nous a semblé, chers lecteurs, que la lecture attentive et réfléchie de ces extraits de la biographie de saint Ignace (se rapportent à une époque où il ne songeait guère à devenir un saint), nous donnait parfaitement la clef du caractère singulier imprimé à la société de Jésus par son fondateur.

Ainsi, nous lisons :

« Ignace de Loyola avait la réputation d’être honnête homme, quoiqu’il vécût dans tous les dérèglements, etc., etc. »

Or, la première condition de la doctrine des jésuites n’est-elle pas en effet d’avoir la réputation d’honnête homme, quoique, etc.

« Tout mondain et tout débauché qu’il était, Ignace de Loyola gardait de la bienséance jusque dans ses désordres. »

Or, la doctrine si complaisante, si flexible des jésuites, ne recommande-t-elle pas surtout la bienséance, le secret dans le désordre, moyennant quoi, les révérends ne refusent jamais l’absolution ?

« I. de Loyola, n’aimait pas le scandale, et bien que délicat sur le point d’honneur, et que sa fierté naturelle le portât à tirer raison de la moindre injure, il pardonnait tout dès que l’on se soumettait. »


Or, la soumission absolue, passive, servile des disciples au maître qui doit disposer d’eux perindè ac cadaver (ni plus ni moins que s’ils étaient des cadavres), n’est-elle pas la base fondamentale de la Compagnie de Jésus ?

« Enfin : I. de Loyola ne manquait pas d’habileté dans les affaires. »

Or, l’habileté de ses disciples en affaires est, nous le croyons, devenue suffisamment proverbiale.

Nous n’insisterons pas davantage sur ces rapprochements, chers lecteurs ; notre récit démontrera, nous l’espérons, par suite de quel revirement, ou plutôt par suite de quel développement logique de son individualité propre, Ignace de Loyola, hypocrite, débauché, hardi capitaine, impérieux spadassin, et habile homme d’affaires, imprima, malgré sa conversion (dont nous ne pouvons ni nous ne voulons discuter ici la sincérité), imprima, disons-nous, le caractère indélébile de sa personnalité à la compagnie qu’il a fondée !

L’on a beaucoup discuté la puissance de la société de Jésus au dix-neuvième siècle ; les uns la croient toujours très-redoutable, les autres nient son influence. Voici ce que nous lisons dans un journal belge fort sérieux, fort bien informé, lui laissant, d’ailleurs, la responsabilité de la citation suivante : le dernier général des jésuites, le B. P. Roothan se serait exprimé ainsi à la conférence de Chieri :

« … Vraiment, notre siècle, est étrangement délicat ! S’imagine-t-il donc que la flamme des bûchers soit totalement éteinte ? qu’il n’en soit pas resté le plus petit tison pour en allumer une seule