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et ses fureurs soulevées par le clergé ultramontain, et dirigées contre le trône, par l’un de ces revirements familiers au machiavélisme théocratique, qui, selon les nécessités de sa politique du moment, tantôt s’allie aux rois pour asservir les peuples, tantôt les déchaîne contre les rois, la Ligue porta un coup irréparable à la royauté. Le meurtre de Henri III et de Henri IV tombant sous le poignard de séides fanatisés par les jésuites, et glorifiés par eux et par une notable partie de l’Église, détruisit, même aux yeux des masses ignorantes, le prestige quasi-divin de l’autorité royale.

Les réformateurs religieux au seizième siècle, obéissant à la loi mystérieuse du progrès, ont donc, chers lecteurs, les uns à leur insu, les autres sciemment, continué l’œuvre d’affranchissement politique, poursuivi au prix d’efforts inouïs à travers les siècles, depuis les premières insurrections des Bagaudes, des Vagres, des Communes, jusqu’aux révolutions successives dont Étienne Marcel, et plus tard les Maillotins, les Cabochiens ont été les héros ; ceux-ci et les républicains protestants de La Rochelle, de la Guyenne, de la Bourgogne au seizième siècle, ainsi que les républicains de la Hollande au dix-septième siècle, sont, répétons-le, les vaillants précurseurs des républicains américains et français du dix-huitième siècle ; aussi, lorsque bientôt nous arriverons aux fastes de notre révolution de 1789-92, elle vous apparaîtra, chers lecteurs, non point comme un événement inattendu, anormal, isolé mais comme un événement prévu, naturel, relié à la chaîne des temps ; cette révolution ne sera pour vous que la conséquence logique, le dénouement victorieux, inévitable, infaillible, de tant de luttes, renouvelées d’âge en âge par nos pères de race gauloise, asservie, contre les descendants ou les représentants de la conquête franque ; aussi vous ne vous étonnerez pas, chers lecteurs, en entendant l’un des membres de la Convention nationale, répudiant le nom de France, imposé à la nation par les Francs, pendant une oppression de quinze siècles, revendiquer pour la mère patrie son antique et glorieux nom de république des Gaules, et le coq gaulois pour enseigne de ses drapeaux, l’effroi des royautés !

Et surtout, chers lecteurs, pas de défaillance, ne vous arrêtez pas à la surface des choses, ne cédez pas à une injuste désespérance, ne dites pas : Quoi ! l’humanité est-elle donc éternellement condamnée à osciller stationnaire entre l’action qui conquiert les libertés et la réaction qui les détruit ? Non, non, il n’en va pas ainsi ; levez les yeux plus haut, vous verrez les oscillations mêmes produire la marche lente et irrésistible du progrès humain. Le balancier d’une pendule semble aussi stationnaire malgré son perpétuel va et vient. Il semble être, pour ainsi dire, le symbole de l’immobilité dans la mobilité ; mais regardez le cadran… l’aiguille décrit sa courbe et signale la marche irrésistible du temps qu’aucune puissance humaine ou divine ne saurait faire rétrograder.


Nous croyons, chers lecteurs, vous avoir exposé d’une manière sommaire, mais probante, — les causes de la réforme ; — le caractère de ses guerres religieuses ; — ses conséquences sociales et politiques. — Un dernier mot sur un fait capital qui se rattache aussi à la réforme, à savoir : la fondation de la Société de Jésus, par Ignace de Loyola

En effet, rapprochement étrange ! au moment même où l’essor de l’imprimerie allait changer la face du monde, au moment où la réforme religieuse donnait une impulsion nouvelle à l’esprit d’examen et d’indépendance, une société s’organisait au nom et pour le triomphe du despotisme théocratique le plus absolu qui ait jamais courbé, abruti, déshonoré les hommes sous son joug de fer… audacieux, effrayant défi jeté à ce siècle rénovateur ! Il nous a paru nécessaire de mettre en scène, en chair et en os, dans le récit que vous allez lire, l’organisateur et l’organisation de la compagnie de Jésus, et afin que vous soyez, chers lecteurs, complètement édifiés à ce sujet, nous extrayons d’un ouvrage d’une irrécusable autorité (au point de vue catholique) ce passage de la biographie de saint Ignace de Loyola.

Les vies des saints composées sur ce qui nous est resté de plus authentique et de plus assuré dans leur histoire, avec l’histoire de leur culte, selon qu’il est établi dans l’Église catholique, Paris, chez Jean de Nully, rue Saint-Jacques, à l’image de Saint Pierre. — Rue du Pilastre. M.D.C.C.X.V. avec approbation et privilège du roi. (VOL. II., p. 430 À 454.)


« Ignace, fils de Bertrand d’Ognez et de Martine Saëz, naquit l’an 1491, au château de Loyola, en Biscaye. Il fut le dernier de onze enfants venus du même mariage. Son père, seigneur d’Ognez et de Loyola, tenait l’un des premiers rangs parmi la noblesse de Guipuscoa, et sa mère était de l’illustre maison des seigneurs de Balde… Ignace fut envoyé par son père à la cour d’Espagne, où il fut page du roi Ferdinand V… Puis, à l’exemple de ses frères, il embrassa la profession des armes, secondé dans cette résolution par le duc de Najara, son proche parent… Il passa par tous les degrés de la milice et donna des preuves de sa valeur, au siège de Najara même… Il avait la réputation d’être