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sévère et élevé, les vues parfois profondes, mais dont nous ne partageons pas les tendances (De la démocratie chez les prédicateurs de la Ligue, par Charles Labitte, Paris, 1851), nous lisons ce résumé du livre intitulé : Vindicia contra tyrannos (de la vengeance contre les tyrans), dû à la plume d’un autre calviniste français, Hubert Languey, aussi réfugié à Genève, après le carnage de la Saint-Barthélemy.

« Demande. — Peut-on résister à un prince qui opprime et ruine l’État ? Et jusqu’où cette résistance peut-elle s’étendre ?

» Réponse. — La royauté est à la fois l’œuvre de Dieu et l’œuvre du peuple. C’est Dieu qui institue les monarques, qui donne les royaumes, qui choisit les rois ; mais c’est le peuple qui constitue les monarques, qui les fait entrer en possession de ces royaumes et qui approuve ce choix par ses suffrages. (P. 104.) Personne ne naît ou se fait roi ; on est donc roi seulement par la sanction populaire. Si l’hérédité s’est établie dans quelques pays, c’est pure tolérance, l’élection n’en reste pas moins un droit inaliénable. Il n’est pas de prescription pour les nations, la souveraineté permanente, continue du peuple, est donc légitime. (P. 112-162.) Le roi doit consulter la représentation nationale, dans ses différentes hiérarchies (P. 120.), sur les questions de paix, de guerre, sur les traités, sur la répartition des impôts et des dépenses même urgentes. (P. 133-136.) Il n’est pas permis aux monarques d’attenter aux franchises des municipalités et des provinces, c’est le devoir des chambres (cameræ ordinariæ) de faire respecter la vieille formule : que trop donné soit redemandé. (P. 165.)

» D. — Comment doit s’exercer la résistance contre les mauvais rois ?

» R. — Il y a deux cas de tyrannie bien distincts : dans le premier, c’est un monarque légalement élu et reconnu, qui tombe dans la tyrannie ; alors il ne peut être frappé que par le glaive des États-généraux, et non par le glaive des particuliers. (P. 295.) Dans le second cas, c’est un usurpateur dont rien n’a sanctionné l’avènement, et alors chacun a sur lui le droit de mort, parce qu’il n’y a pas eu de contrat. » (P. 206.)

Une dernière citation : nous lisons dans un recueil publié sous le titre de Mémoires de l’Estat de France sous Charles IX, t. III, p. 66 et suiv. :

« Les représentants de la nation sont auteurs de princes ; les ayant faits, ils peuvent les défaire ; c’est donc le devoir des peuples de mettre les rois sous la loi. »

Ainsi, au seizième siècle, de hardis publicistes, poursuivant l’œuvre d’Étienne Marcel et de ses prédécesseurs ou successeurs aux assemblées nationales, proclamaient, affirmaient l’omnipotente, imprescriptible et permanente souveraineté du peuple, niaient la légitimité de l’hérédité dynastique, déclaraient les assemblées nationales virtuellement investies du droit de faire, de défaire les rois et, le cas échéant, de les juger, de les condamner, de les frapper du glaive des États généraux ; légitimant ainsi d’avance le solennel jugement de Louis XVI, par la Convention nationale.

Ces écrits furent-ils seulement l’expression des théories individuelles, en dehors du domaine de l’application, de la pratique ? Nullement ! le parti protestant, après le massacre de la Saint-Barthélemy, tenta de constituer les diverses provinces de la France en une vaste fédération républicaine. Citons encore :

«… Les réformés se réunirent le jour même de la Saint-Barthélemy, comme pour évoquer les ombres sanglantes des martyrs huguenots ; toutes leurs résolutions furent inspirées par ce lugubre anniversaire. Le projet de constituer le parti réformé en fédération républicaine, déjà proposé et commenté à la fin de l’année précédente, fut adopté et mis à exécution : le Languedoc et la Haute-Guyenne furent divisés en deux grands gouvernements ou généralités, avec Nîmes et Montauban pour chefs-lieux. Saint-Romain, qui, d’archevêque d’Aix, s’était fait capitaine huguenot, et le vicomte de Paulin, furent chargés du commandement général, avec le concours des États composés des notables des deux provinces ; chaque diocèse devait avoir, en outre, ses États particuliers ressortissants aux États de la généralité ; les États de chaque généralité devaient se réunir tous les trois mois ; les États des généralités réunis tous les six mois. L’union civile de l’église réformée s’étendrait à tout le royaume au fur et à mesure du progrès de la réforme. » (La Popelinière, t. II, ° 185, 186, 192.)

C’était, vous le voyez, chers lecteurs, préluder en 1573 à l’établissement des États-Unis de Hollande, fondés pendant le siècle suivant ; des États-Unis d’Amérique, et de la république française, inaugurée au dix-huitième siècle.

L’une des conséquences de la réforme fut donc de donner en France une nouvelle impulsion à l’esprit démocratique ; tout concourait d’ailleurs au développement des idées d’égalité, de liberté, de fraternité ; une communauté de croyance, de malheurs, de périls rapprocha les éléments sociaux les plus divers ; laboureurs, artisans, lettrés, grands seigneurs, bourgeois, gens de loisir, marchèrent tous égaux et frères, sous la bannière de la liberté de conscience ; une fusion vraiment républicaine s’opéra, au nom de l’égalité, de la fraternité évangélique, entre ces différentes classes, pendant si longtemps divisées par le privilège et séculairement hostiles l’une à l’autre. Enfin, la Ligue