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Ainsi les huguenots, malgré les mesures atroces dont ils sont victimes, adressent d’abord humblement au pouvoir royal requêtes et suppliques afin d’obtenir l’autorisation d’exercer paisiblement leur culte ; Église et Royauté restent sourdes, impitoyables ; enfin, poussés à bout par le massacre de Vassy, en 1562 (la persécution avait été toujours croissant depuis le commencement du siècle), les réformés font appel à l’insurrection, prennent les armes, et par l’insurrection, par les armes, conquièrent ce qu’ils n’avaient pu jusqu’alors obtenir par les prières, par la revendication du droit commun ; le premier édit de tolérance est rendu le 19 mars 1562. Sans doute, ainsi que vous l’avez déjà vu à l’endroit des réformes politiques, cet édit est bientôt annulé, les réformés reprennent les armes ; un second édit de tolérance est promulgué le 23 mars 1568. — L’édit est de nouveau foulé aux pieds par l’Église et la royauté ; nouvelle insurrection des huguenots ; en 1570, un arrêt plus large que les précédents consacre la liberté de conscience, la foi des traités entre catholiques et protestants est encore violée en août 1572, par l’épouvantable massacre de la Saint-Barthélemy. Cette effrayante hécatombe semble devoir anéantir le protestantisme dans le sang, mais il se redresse plus vivace que jamais, court une quatrième fois aux armes, et en 1573 il a conquis complètement la liberté de conscience, sanctionnée plusieurs années après par l’édit de Nantes, dû à la politique d’Henri IV ; pour ce fait, il tombe sous le poignard orthodoxe d’un fanatique séide des jésuites, et plus tard, à la honte de l’humanité, un autre jésuite, confesseur de ce lâche et exécrable despote nommé Louis XIV, lui impose la révocation de l’édit de Nantes, et de nouveau, les horreurs de la guerre civile sont déchaînées sur la France.

Vous le voyez, chers lecteurs, les réformes religieuses, ainsi que les réformes civiles et politiques, ont toujours été forcément, fatalement conquises par la révolte, par l’insurrection ! Pourquoi faut-il qu’en vertu d’une loi terrible et mystérieuse, l’humanité soit condamnée à ne conquérir le progrès, la liberté, que lentement, laborieusement, pas à pas, siècle à siècle, au prix de luttes acharnées, de sacrifices inouïs et de torrents de sang ? Ce sang, répétons-le, doit retomber sur l’Église et la Royauté ; elles pouvaient, au seizième siècle, épargner à l’humanité des maux incalculables, en accordant volontairement, en exécutant loyalement, dès le début de la réforme, ces édits imposés plus tard au trône et à l’autel par l’insurrection des protestants. — L’on entrait dès lors de primesaut dans l’exercice de la liberté de conscience, enfin affirmée par notre grande révolution de 1789-92. — Conquête désormais impérissable, si nous savons défendre ce débris d’un précieux héritage, teint du sang de nos pères.


des conséquences de la réforme.


Les conséquences politiques de la réforme furent considérables ; elle fit puissamment progresser l’œuvre d’affranchissement poursuivie depuis tant de siècles par le peuple et la bourgeoisie. Vous l’avez déjà remarqué, chers lecteurs, dans le courant de nos récits, les hommes aspirent d’autant plus vivement à la liberté, à l’indépendance, qu’ils sont plus instruits et plus radicalement dissidents de l’Église de Rome ; ainsi, lors de la guerre des Albigeois, les grandes cités du Languedoc, industrieuses, opulentes, éclairées, régies démocratiquement par leurs municipalités, en véritables républiques fédérées sous la suzeraineté du roi de France, se séparent complètement de la communion catholique. Ainsi encore, au seizième siècle, les Genevois embrassant la réforme avec ardeur, à la voix de Calvin, secouant le joug des princes de Savoie et de leur évêque, se rapprochent de la libre confédération des cantons suisses. Ce profond attachement au gouvernement démocratique et municipal, si vivace en Gaule malgré l’absorption des franchises des communes, par le despotisme centralisateur de la royauté, se montra plus ardent que par le passé, lors des luttes de la réforme religieuse ; l’implacable iniquité des rois envers les protestants, les cruautés inouïes dont ils étaient victimes, les poussèrent à bout ; ils soumirent le pouvoir royal à l’analyse de leur doctrine émancipatrice, le libre examen, de même qu’ils y avaient soumis l’autorité pontificale. — Les conclusions furent identiques, jugez-en, chers lecteurs. Nous lisons dans le Franco-Gallia (France et Gaule), publié en 1573, par François Hotman, réfugié à Genève, après le massacre de la Saint-Barthélemy :

«… La domination royale, lorsqu’elle n’est pas enchaînée, a un penchant naturel et une tendance propre à la tyrannie (p. 8.) C’est pour cela que l’hérédité est mauvaise, et que le peuple a toujours le droit de choisir un chef à son gré. (P. 47 et suiv.)

» Il ne convient pas à des hommes libres, à des hommes que Dieu a doués d’intelligence, de subir le bon vouloir et le bon plaisir. L’humanité ne se laisse pas conduire comme un troupeau de brutes (P. 80.) Aussi, un peuple peut-il toujours déposer son roi et en créer un autre, quand bon lui semble. Ce droit repose dans l’ensemble de la nation et doit être exercé par une assemblée solennelle, le noble comme l’homme du peuple doivent prendre part à ce vote. » (P. 113-119.) (Ex. off. Jac. Stœrii, in.8°.)

Enfin, dans un ouvrage publié très-récemment, dont nous admirons l’immense érudition, le style