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quatre-vingt-neuf étables, et trente et une granges incendiées ; le nombre des morts n’est pas moindre de trois mille.

» Le mardi 22 d’avril, d’Oppède se présente devant la ville de la Coste ; les soldats catholiques forcent les portes, pillent, violent, massacrent et incendient ; il se trouvait une petite garenne derrière le château : les soldats catholiques y entraînent les femmes qu’ils venaient de faire prisonnières et assouvissent sur elles leur lubricité ; les mères cherchaient à défendre leurs filles de ces brutalités ; l’une d’elles, voyant l’impuissance de ses efforts, se perça le sein d’un couteau et le tendit à sa fille qui l’imita ; d’autres s’étranglèrent en se pendant aux arbres avec leurs ceintures ; d’autres expirèrent de faim dans les bois où elles s’étaient réfugiées ; les hommes qui échappèrent au massacre furent vendus aux recruteurs des galères du roi, et les femmes aux gens qui trafiquaient de leurs captives avec les corsaires barbaresques… »

(Les témoins du Seigneur et de la justice humaine. — Histoire de la Persécution des Vaudois en 1545. — Marc-Ducloux, Paris, 1849, p. 16 à 40.)

En outre de ces massacres généraux, l’on brûlait journellement grand nombre d’hérétiques dans toutes les villes de France ; le consistoire de chaque église réformée, ou quelque notable du pays enregistrait pieusement les noms des martyrs évangéliques ; nous citerons au hasard une des pages de ce martyrologe, il ne compte pas moins de cent cinquante feuillets, aussi remplis que le suivant :

» 1550. Brûlés à Paris, entre autres, Léonard Galimard, né à Vendôme, et Florent Venot, de Sedan. — Étienne Péloquin, — à Orléans, sur la place du Martroy. — Anne Audebert, veuve de Pierre Genet. — Claude Thierry, natif de Chartres. — Macé-Moreau, colporteur, brûlé à Troyes. — Gabriel Béraudin, — et Jean Godeau, brûlés à Chambéry.

» 1551. Brûlés à Lyon : Claude Monnier. — À Nîmes : Maurice Sassenat. — À Paris : Thomas de Saint-Paul. — À Toulouse : Jean Loery et son jeune frère âgé de 15 ans.

» 1552. Brûlés à Bourg en Bresse : Hugues Gravier, du pays du Maine. — À Saumur : René Poyet.

» 1553. Brûlés à Lyon : Martial Alba, marchand ; Pierre, écrivain gascon. — Bernard Séguin. — Pierre Navières. — Charles Faure. — Denis Péloquin (frère du supplicié d’Orléans). — Mahiet Vimonet. — Louis de Massac et son cousin, gentilshommes du Bourbonnais. — Étienne Crava, menuisier. — Même année, brûlés à Paris : Nicolas Naïl, porteur de livres. — Antoine Magne. — Étienne Leroy, notaire, et son clerc. — Pierre Dinecheau. — Même année, brûlés à Rouen : Guillaume Neel, moine augustin, ayant embrassé la religion évangélique. — À Dijon : Simon Laloë. — À Toulouse : Piche Serre.

» 1554. Brûlés à Montpellier : Guillaume, natif d’Alençon, porteur de livres. — Pierre de Lavau. — Jean Cochin, etc., etc. » (Chroniques ecclésiastiques de Théodore de Bèze, Vol. I, p. 173.)

Or, nous vous le répétons, cette énumération nominale des victimes remplit près de cent cinquante pages… Jugez du nombre des suppliciés ! ! !

Nous venons de vous citer, chers lecteurs, des écrivains protestants, et malgré le caractère d’irrécusable autorité de leurs récits, vous pourriez les soupçonner d’exagération ou de partialité ? Citons maintenant un écrivain catholique : le maréchal Blaise de Montluc, envoyé en Guyenne, afin d’y exterminer l’hérésie et de combattre les huguenots forcés de prendre les armes pour défendre leur religion, leur foyer, leurs biens, leur famille, leur vie ; nous lisons dans les Mémoires de Montluc (Collection de Petitot, un vol. gr. in-8o.) :

« — Et me délibérai (dit le maréchal) d’user de toutes les cruautés que je pourrais envers ces méchantes gens ; je recouvrai secrètement deux bourreaux, lesquels on appela depuis mes laquais, pour ce qu’ils étaient souvent avec moi. » (P. 216.)

Un habitant de Lectoure, nommé Verdier, avait tenu des propos mal sonnants pour la royauté, en présence de ses amis et d’un diacre réformé ; le maréchal de Montluc les fait saisir tous trois, on les lui amène :

« — J’avais (dit Montluc) les deux bourreaux derrière moi, bien équipés de leurs armes, et surtout d’un coutelas bien tranchant ; de rage, je sautai au cou de ce Verdier, et lui dis : O méchant paillard, as-tu bien osé souiller ta méchante langue contre la majesté de ton roi ? — Ah ! monsieur, — me répondit-il, — à tout pécheur miséricorde. — Alors la rage me prit plus que devant, et lui dis : — Misérable, veux-tu que j’aie miséricorde de toi, et tu n’as pas respecté le roi. — Et le poussant rudement à terre, je dis au bourreau : Frappe, vilain ! — Ma parole et son coup furent aussi tôt l’un que l’autre… Je fis pendre les deux autres à un orme voisin ; quant au diacre, pour ce qu’il n’avait que dix-huit ans, je ne le voulus faire mourir, afin qu’il portât la nouvelle de l’exécution aux siens ; mais bien lui fis-je bailler tant de coups qu’il en est mort huit ou dix jours après… Et voilà la première exécution que je fis en ce pays-là, sans sentence, ni écriture, car en ces choses, j’ai ouï dire qu’il fallait commencer par l’exécution. » (P. 216-217.)

» … M. de Sanctorens m’amena, le mardi, le capitaine Morallet avec six autres huguenots, que des gentilshommes avaient pris ; je les fis pendre tous les sept sans tant languir, ce qui jeta