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sans la grâce de Dieu ; que ces indulgences sont tirées de la surabondance des mérites de Jésus-Christ et des saints, du trésor desquels le pape est le dispensateur, tant par forme d’absolution que par forme de suffrage ; que la créance de ces articles est indispensable ; que quiconque croira ou prêchera le contraire, sera retranché de la communion de l’Église catholique, et excommunié d’une excommunication réservée au souverain pontife. » (P. 554)

Donc, sous le pontificat de Léon X, au commencement du seizième siècle, une nuée de commissaires apostoliques préposés à la vente des indulgences (vous les verrez à l’œuvre, chers lecteurs, vous entendrez leur langage textuel), s’abattirent sur la chrétienté, vendant à beaux deniers comptants l’absolution pleine et entière, non-seulement des fautes, des péchés, des crimes que l’on avait commis, mais de ceux que l’on pouvait commettre. Certaines lettres ou cédules apostoliques (la formule en sera reproduite dans le courant de notre récit) accordaient aux pécheurs, jusqu’à la rémission des cas réservés au Saint-Siège, à savoir : la bestialité, le péché contre nature, l’inceste, le sacrilège et le parricide. De pareilles absolutions vous semblent déjà énormes, chers lecteurs ? Cependant, certains commissaires apostoliques, afin d’affrioler le chaland, en lui démontrant l’omnipotente efficacité des indulgences, dont ils trafiquaient, allaient plus loin : ils imaginaient des crimes inouïs, impossibles, hors la sphère de l’humanité ; ils supposaient, entre autres, un forfait où l’absurde et le sacrilège dépassent les dernières limites du possible. Voici en quels termes s’exprimait à ce sujet le moine dominicain Jean Tezel, commissaire apostolique :

«… Il n’y a aucun péché si grand que l’indulgence ne puisse remettre, et même si quelqu’un, ce qui est impossible sans doute, avait fait violence à la mère de Dieu, qu’il paye, qu’il paye seulement, et cela lui sera lui sera pardonné. C’est plus clair que le jour. »

Voici le texte latin : 


«… Et si quis, per impossible, Dei genitricem, semper Virginem violasset, quod eumdem indulgentiarum vigore absolvere possent, luce clarius est. (J. Tezel, th. 99, 100, 101, ap. Merle d’Aubigné, p. 319, vol. I., Histoire de la Réformation au seizième siècle, Paris, Marc-Ducloux, 1853.)

Votre cœur se soulève, se révolte, chers lecteurs ? Votre raison s’indigne ? se refuse à croire de telles aberrations pontificales ? Nous, gens du dix-neuvième siècle, nous, fils de Voltaire, ainsi que les sacristains nous appellent, à notre glorieuse satisfaction, nous trouvons ces aberrations encore plus stupides, plus insensées qu’elles ne sont horribles. Mais elles vous feront frémir d’épouvante, si, vous reportant par la pensée au seizième siècle, époque où un fanatisme aveugle, féroce, s’accouplait à une corruption effrénée ; époque où les plus grands scélérats communiaient dévotement, payaient des messes pour l’heureux succès des luxures, des brigandages, des meurtres qu’ils méditaient ; vous réfléchissez aux ravages, aux bouleversements inouïs que la vente des indulgences a dû porter, a portés dans l’ordre moral et social. Songez-y donc : dire certain de pouvoir commettre en pleine sécurité de conscience les crimes les plus exorbitants, dès que l’on avait en poche une cédule d’absolution ? Supposez… (et ce qui serait aujourd’hui une supposition injurieuse et folle, nous aimons à le croire, malgré les Maingrat, les Léotade, les Contrafatto, etc., etc. était alors l’état normal des consciences…), supposez un scélérat catholique orthodoxe, armé de l’une de ces effrayantes rédemptions innocentant, quoi qu’on fasse : le passé, le présent, l’avenir ? Où ce monstre s’arrêtera-t-il, puisqu’il se sait, puisqu’il se sent absous de tous les forfaits, par la divine omnipotence du pape, vicaire de Dieu sur la terre ?

Sous l’empire de cette pensée, nous avons tenté, dans notre récit, d’exposer quelques-unes des conséquences de l’exécrable perturbation jetée dans les esprits, dans les mœurs, dans les familles, par la vente des indulgences, l’une des causes décisives de la réforme religieuse au seizième siècle.


du caractère des guerres religieuses au seizième siècle.


L’un des principaux, des plus douloureux caractères des guerres religieuses au seizième siècle, que nous avons aussi tenté de mettre en relief dans notre récit, a été la fréquence de ces divisions intestines, écloses à l’ombre du foyer domestique, de ces haines maudites, qui éclataient entre amis, entre parents, entre frères, entre le fils et le père. Ces sanglants déchirements des familles, à qui les reprocher ? sinon aux rois, aux pontifes, au clergé, au parlement, à tant d’autres intéressés, qui, dans leur superbe, dans la jalousie de leur domination absolue, dans leur cupidité de conserver de fructueux privilèges, se sont impitoyablement refusés à l’accomplissement régulier, pacifique de la réforme religieuse, malgré les humbles prières, malgré les touchants appels à l’équité, malgré la patiente revendication du droit commun portés incessamment au pied du trône par les huguenots pendant un siècle et plus de persécution atroce ; et pourtant pour prévenir les maux irréparables de quatre guerres civiles où a coulé à torrents le plus généreux sang de la France, il suffisait (ainsi que le dira l’un des personnages de notre récit), il suffisait d’un arrêt d’une ligne, le voici :

Chacun est libre d’exercer publiquement son culte en respectant le culte d’autrui.