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encore plein de courage, il s’efforçait de vaincre sa défaillance. Enfin s’avançaient Marie-la-Catelle et Hêna Lebrenn, en religion nommée Sainte-Françoise-au-Tombeau, toutes deux, pieds nus, les cheveux épars sur leurs épaules, vêtues de longs sarraus blancs, ceintes d’une corde ; toutes deux marchaient d’un pas ferme, réconfortées en ce moment suprême par les consolations de leur mutuelle amitié. Marie-la-Catelle, fière de mourir pour la foi évangélique, bravait d’un front serein le martyre ; Hêna, élevée par son père dans cette croyance de nos aïeux, qu’immortels, esprit et matière, nous allons, âme et corps, continuer en d’autres sphères notre impérissable existence, Hêna songeait qu’elle allait renaître en ces mondes inconnus, y retrouver sa mère et revivre avec elle et Ernest Rennepont. Portant un cierge d’une main, de l’autre elle tenait une petite bible de poche imprimée par Christian chez M. Robert Estienne ; elle avait obtenu la grâce de lire et de garder ce saint livre jusqu’à son heure dernière… ce livre que la famille lisait souvent le soir en commun, rappelait à la pensée d’Hêna tout un monde de souvenirs chéris.

Hervé reconnut sa sœur parmi les condamnés ; sans doute il ignorait qu’elle dût partager leur sort, car il tressaillit, devint d’une pâleur cadavéreuse, détourna la tête et s’appuya sur le bras de fra‑Girard. Celui-ci lui dit quelques mots à l’oreille en désignant du geste frère Saint-Ernest-Martyr ; alors un sourire affreux erra sur les lèvres d’Hervé, ses yeux étincelèrent, il releva le front, et, au lieu de fuir la vue d’Hêna, il la contempla, avec une impassibilité, féroce… À l’approche des hérétiques, les bourreaux allumèrent le bûcher ; il offrit bientôt l’aspect d’une nappe de flammes. Lorsque les patients arrivèrent au lieu du supplice, ils virent les sièges à bascule où l’on allait les enchaîner afin de les plonger dans le brasier à plusieurs reprises et jusqu’à la fin… selon l’explication que leur donnèrent les bourreaux avec une cruelle complaisance… Devant cette torture inouïe, Hêna faiblit ; la malheureuse enfant croyait simplement mourir et quitter cette vie-ci pour une autre, sa pensée ne s’était jamais appe-