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devait être l’une des victimes… Odelin voyait Hervé ; mais ce dernier ne pouvait reconnaître son frère sous le capuchon de son froc. Le malheureux enfant l’avoua plus tard : la douleur, l’effroi, troublèrent, paralysèrent à ce point son esprit et ses sens, que le spectacle épouvantable dont il fut témoin passa devant ses yeux comme une vision lugubre ; oui, sans voix, sans mouvement, sans frisson, sans larmes, pétrifié par la terreur, il regarda… de même que l’homme en proie à rêve affreux reste immobile et muet cloué sur sa couche…

Et maintenant, fils de Joel, écoutez…

L’ordre d’exécution donné par François Ier, plusieurs moines mathurins se rendirent sous le portail de la basilique de Notre-Dame, ou les condamnés avaient d’abord été conduits ; pour faire amende honorable à deux genoux devant l’église ; après quoi l’un des patients eut la langue coupée en punition des anathèmes lancés par lui contre les prêtres catholiques durant le trajet de la prison au parvis. Les Mathurins amenèrent processionnellement les victimes au lieu de leur supplice ; lorsqu’elles en approchèrent, tous les ordres religieux entonnèrent d’une voix retentissante cette psalmodie funèbre :

De profundis clamavi ad te Domine !

Les hérétiques, au nombre de six[1], marchaient deux à deux, tête nue, pieds nus, tenant chacun un cierge à la main ; d’abord venaient Jean Dubourg et son ami Étienne de Laforge ; puis frère Saint-Ernest-Martyr, soutenant l’architecte maçon Antoine Poille. Ce malheureux venait d’avoir la langue coupée ; affaibli par la perte du sang qui ruisselait de sa bouche et inondait sa longue chemise blanche, mais

  1. Entre lesquels furent brûlés à Paris, ce jour-là, 21 janvier 1535, Jean Dubourg, marchant drapier de Paris, demeurant en la rue Saint-Denis, à l’enseigne du Cheval noir ; Étienne de Laforge, de Tournay, mais dès longtemps habitant Paris, bien fort riche homme et non moins charitable ; une maîtresse d’école nommée Marie-la-Catelle et Antoine Poille, maçon d’auprès de Meaux, mais béni de Dieu pour emporter le prix entre les martyrs, pour avoir été le plus cruellement traité (il avait eu la langue coupée), comme plus amplement il est contenu au livre des martyrs. (Chroniques ecclésiastiques. — Théodore de Bèze, vol. I, p. 43.)