Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 10.djvu/29

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

souverains pour envahir la Gaule. Trente mille Anglais débarquent à Calais ; vingt mille Allemands passent la frontière, s’emparent de Thérouanne, de Tournay ; tandis que vingt mille Suisses entrent en Bourgogne, prennent Dijon et marchent sur Paris. En cette terrible extrémité, Louis XII, voyant l’ennemi au cœur du royaume, est réduit à acheter une paix humiliante au prix d’énormes concessions de territoire. Elle est signée le 10 mai 1514, et pour la consolider, Louis XII, veuf de sa seconde femme, épouse la sœur de Henri VIII, roi d’Angleterre ; il survit peu de temps à cette union, et meurt à Paris le 1er janvier 1515, à cinquante-sept ans, sans laisser de fils. Malgré ses folles visées de conquête en Italie, qui causèrent à la Gaule tant de désastres et lui coûtèrent tant d’hommes et tant d’argent, Louis XII ne fut pas cruel, il ne souilla pas le trône par le scandale éclatant de ses débauches ; gai compère après boire (il ivrognait souvent), se plaisant aux contes graveleux, il se contenta de courtiser trois femmes. Rabelais, le malin curé de Meudon, a dernièrement, dans ses allégories, tracé ce très-ressemblant portrait de Louis XII, sous le sobriquet de Grand-Gousier :

« Grand-Gousier était bon raillard en son temps, aimant à boire net autant que fût alors au monde. Il mangeait volontiers salé ; à cette fin, avait ordinairement bonne provision de jambons de Mayence et de Bayonne, force langues de bœuf fumées, abondamment d’andouilles en la saison, bœuf à la moutarde, saucisse et boutargue. En son âge viril, Grand-Gousier épousa Gargamelle, fille du roi des Parpaillots, belle gouge et de bonne troigne…… »

La réputation d’ivrogne de Louis XII était d’ailleurs proverbiale. Il se plaignit un jour d’avoir été trompé deux fois par le roi d’Espagne Ferdinand V le Catholique, l’un des plus grands scélérats qui aient jamais porté la couronne :

« — Le roi de France se plaint que je l’ai trompé deux fois, l’ivrogne ! — s’écria Ferdinand V. — Il a bien menti, de par Dieu ! je l’ai trompé plus de dix !