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cependant son courtaud à un pas régulier ; il venait de déjouer une fois de plus l’innocente manœuvre de son apprenti, qui le devançait.

— Eh bien, Odelin, — lui cria-t-il, — voici encore ton cheval au trot ?

— Maître Raimbaud, ce n’est pas ma faute, — répondit le jouvenceau confus, s’arrêtant à regret, — mon cheval me force la main… ce sont sans doute des mouches qui le tourmentent.

— Tête-Dieu ! des mouches au mois de janvier, mon garçon ! — reprit gaiement l’armurier en rejoignant son apprenti ; — tu te crois toujours dans le Milanais ?

— Tenez, je ne saurais mentir, maître Raimbaud… mais, que voulez-vous ? quand je pense que là-bas, dans la grande ville, ma mère, mon père, ma sœur, mon frère et mon bon oncle Joséphin attendent ma venue… je ressens un tel frémissement de joie, que, malgré moi, mes éperons se rapprochent des flancs de mon cheval…

— Je comprends ton impatience, mon garçon, elle est à la louange de ton cœur ; mais tâche de la modérer un peu. Nous avons fait une longue traite aujourd’hui, n’essoufflons pas nos chevaux. Certain du bonheur qui t’attend, à quoi bon courir après ?

— C’est vrai, maître Raimbaud, — reprit Odelin, rose d’émotion et le regard humide ; — car, enfin, dans deux heures, tous ceux que j’aime, je les reverrai, je les embrasserai…

— Et moi je les rendrai plus heureux encore de ton retour, en leur disant combien j’ai été satisfait de toi durant notre voyage.

— Comment n’aurais-je pas tâché de vous contenter, maître Raimbaud ? je serais votre fils, vous ne me traiteriez pas autrement.

— C’est qu’un digne fils ne se conduirait pas autrement que tu te conduis envers moi, mon petit Odelin ; tels sont les fruits de l’éducation que tu as reçue de ton brave père et de ton excellente mère.

— Ah ! maître Raimbaud, quand je songe à leurs caresses !…

— Gare aux éperons, mon garçon ! gare aux éperons !… Mais nous voici bientôt au faîte de la montée, arrête un instant ton cheval ;