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— Ô mon-enfant bien-aimée ! — s’écria l’artisan radieux, — ô mon unique soutien ! ma seule consolation ! courage ! courage ! non plus pour lutter contre le chagrin… mais pour te défendre… du saisissement que souvent nous cause un bonheur inattendu… inespéré…

— Un bonheur inattendu, mon père ?…

— Oui, cette heureuse nouvelle que je t’apporte…

— Achève…

— C’est d’abord la résolution d’Ernest Rennepont de devenir pasteur de l’Église évangélique ; ainsi il pourra, en continuant de servir Dieu, se marier… Oui, et si le vœu le plus cher de son noble cœur était réalisé, sais-tu, mon Hêna, qui serait l’épouse de son choix ?… Ce serait… ce serait… — Et Christian, serrant étroitement sa fille contre son sein, car il la sentait trembler, prête à défaillir, ajouta d’une voix palpitante : — Cette épouse idolâtrée, ce serait… toi, mon trésor !… Ernest Rennepont t’aime éperdument depuis le jour où il t’a vue chez Marie-la-Catelle !…

Hêna, malgré les précautions employées par son père pour l’instruire de l’amour et des projets de mariage d’Ernest Rennepont, ne résista pas à la violente secousse que lui causa cette révélation ; Christian, tenant toujours sa fille assise, sur ses genoux et serrée dans ses bras, la vit devenir d’une pâleur mortelle, incliner sa tête sur son épaule et perdre complètement connaissance. Peu effrayé de cet évanouissement auquel il s’attendait, sachant combien Hêna était affaiblie par les souffrances, il se leva, la porta sur son lit, au chevet duquel il s’agenouilla, attendant sans alarme la fin d’une crise causée par un excès de bonheur. Bientôt il entendit frapper doucement à la porte ; il demanda :

— Est-ce vous, monsieur Estienne ?

— Oui… et je ne suis pas seul…

— N’entrez pas encore… — reprit Christian. — Hêna va bientôt, je l’espère, reprendre ses esprits ; je craindrais qu’elle ne fût trop vive-