Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 10.djvu/268

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sa chambre, le regard errant dans l’espace, elle pensait au présent et à l’avenir :

— Mon devoir est désormais tracé… Je resterai auprès de mon pauvre père, je m’efforcerai par ma tendresse de lui rendre moins cruelle la perte de ma mère ; s’il doit fuir, je partagerai sa fuite, je le consolerai dans son exil… je remplacerai ma mère auprès de mon jeune frère Odelin… Je n’essayerai pas d’oublier frère Saint-Ernest-Martyr, je ne le pourrais, mais, conservant cet amour au plus profond de mon cœur, je vous dirai, ô mon Dieu : Faites, par votre grâce infinie, que cet amour insensé, désespéré, ne me tue pas… faites que je vive pour mon père, il a besoin de mes soins et de mon affection !

Telles étaient les pensées de la jeune fille lorsqu’elle vit entrer Christian ; son visage, si longtemps assombri par l’affliction, exprimait un ressentiment de bonheur difficilement contenu, des larmes… douces larmes, cette fois… noyaient ses yeux. Malgré son désir de ne pas tout d’abord trahir sa joie devant sa fille, de crainte de l’impressionner trop vivement, il ne put s’empêcher de la serrer entre ses bras à plusieurs reprises et de la couvrir de baisers sans pouvoir prononcer un mot ; Hêna, non surprise, mais touchée de cette effusion de caresses et frappée du changement des traits de son père, une heure auparavant navrés de chagrin, s’écria :

— Dieu soit loué ! père, tu as appris une heureuse nouvelle ?… Sans doute l’on ne te poursuit plus ?… Tu ne seras plus forcé de te cacher ?…

Christian secoua négativement la tête, et tenant toujours sa fille entre ses bras, la contemplant avec ravissement, il s’assit, la garda sur ses genoux, ainsi que l’on tient un enfant ; puis, d’une voix tremblante d’émotion :

— Oui, mon Hêna… oui, bien-aimée… j’ai appris une heureuse nouvelle mais non pas celle que tu penses, car il nous faudra bientôt quitter cette retraite, où nos persécuteurs nous découvriraient peut-être, et nous nous en irons loin, bien loin d’ici…