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ordre, embrasse la réforme, est reconnu pasteur, il peut contracter mariage… Ceci admis, ne pensez-vous pas que votre fille consente avec joie à cette union, si vous l’approuvez ?

— Elle meurt de ce fatal amour, se croyant séparée d’Ernest Rennepont par un abîme d’impossibilités ; comment refuserait-elle ce mariage ?

— Eh bien, mon ami, quels obstacles prévoyez-vous ? Ces espérances, loin d’être décevantes, ne deviennent-elles pas des certitudes ? La douleur désespérée de ces deux infortunés ne se change-t-elle pas en un bonheur ineffable ? Mais quoi ?… vous restez soucieux, accablé ?…

— Monsieur Estienne, ce projet est trop beau, il ne réussira pas…

— Pourquoi ?

— Que sais-je ?… La fatalité dont je suis victime me poursuivra jusqu’à la fin !…

— Ah ! Christian, Christian ! vous, homme de raison et de fermeté, éprouver une pareille défaillance !

— Elle est insurmontable…

— Il faut la surmonter, mon ami ; il faut songer à votre fille, à vous, à ce digne et malheureux jeune homme ; il faut songer aux devoirs que la paternité vous impose… Allons, du courage, redevenez vous-même…

— Oui, je suis lâche… Pardon, monsieur Estienne… mais la mort de ma femme, le crime de ce misérable que je ne peux plus appeler mon fils… tant de chagrins ont brisé les ressorts de mon âme…

— Jamais pourtant vous n’avez eu plus besoin de votre énergie… Ce projet est trop beau, dites-vous, mon ami ? Mais, fût-il accompli, ne courez-vous pas encore les plus grands dangers ? Oubliez-vous que votre liberté, que votre vie, sont menacées ? oubliez-vous qu’à cette heure sans doute on cherche les traces d’Ernest Rennepont et de votre fille ? oubliez-vous, enfin, l’acharnement de vos ennemis ?