Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 10.djvu/261

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Mais votre fille se trouve ici avec lui ?…

— Ma fille… — reprit Christian attachant sur M. Robert Estienne un regard noyé de larmes, — ma fille ignore la fatale passion de ce jeune moine… et elle l’aime…

— Malheureuse enfant !

— Cet amour la tue… il est une des causes qui l’ont décidée à prononcer ses vœux…

— Elle vous a avoué ?…

— Tout… Avec sa candeur et sa sincérité habituelles, à peine arrivée ici, et ne sachant pas encore la mort de sa mère, que j’hésitais à lui apprendre, elle m’a remis une lettre, me disant : « — Mon père, j’avais écrit ces lignes dans l’espoir de les faire parvenir tôt ou tard à ma mère… lis, et tu apprendras pourquoi j’ai cédé à la contrainte et pris le voile. »

— Depuis qu’ils sont réunis ici Hêna, et ce moine se sont-ils vus ?

— Non. Ce malheureux jeune homme, Ernest Rennepont, c’était son nom avant d’entrer en religion, instruit par moi de la présence de ma fille dans cette maison, voulait, quoiqu’il pût à peine se lever de son lit, aller se livrer aux supérieurs de son ordre, de crainte que l’on ne nous regardât comme complices de son évasion, s’il était découvert ici, sous le même toit qu’Hêna !

— Ainsi, chacun d’eux ignore que l’amour qu’il éprouve est partagé ?

— Hélas ! oui… Ma fille en mourra, monsieur Estienne… elle en mourra !… Ah ! je vous l’ai dit, ma tête se perd à sonder cet abîme de maux… Que faire ? que résoudre ? Voilà pourquoi, ce matin, je vous ai prié de venir ici sans m’expliquer davantage, mettant mon dernier espoir dans vos conseils, dans votre haute raison ; elle jettera peut-être quelques lueurs au milieu de ce chaos d’afflictions devant lequel mon désespoir recule.

Et Christian tomba dans un muet accablement.

M. Robert Estienne resta aussi pendant quelques moments silen-