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— Vous l’aviez déjà vu ?

— Oui ; il enseignait les enfants de l’école de Marie-la-Catelle.

— Quoi ! ce jeune moine est frère Saint-Ernest-Martyr ?

— C’est lui.

— Oh ! celui-là est un vrai disciple du Christ ! Marie-la-Catelle m’a souvent dit qu’il inclinait à la réforme.

— Écoutez, monsieur Estienne, écoutez… À peine arrivé ici, épuisé déjà par une fièvre lente, ce jeune moine perd connaissance ; je lui donne tous mes soins, je le dévêts de son froc, je le couche en mon lit, je le veille. Quelques feuillets de papier étaient tombés de ses vêtements, je les ramasse, j’y jette les yeux, je lis le nom de ma fille… je cède, je l’avoue, à un sentiment de curiosité blâmable, je déplie ces feuillets… Ah ! monsieur Estienne, quelle découverte !

— Ces feuillets ?…

— … Contenaient les fragments d’une sorte de journal, confident secret des pensées de ce jeune moine… J’apprends ainsi que, choisi pour être le confesseur et l’instructeur de ma fille au couvent des Augustines…

— Achevez…

— Ce moine est follement épris d’elle !

— Grand Dieu !

— Ce funeste amour remonte à une époque où frère Saint-Ernest-Martyr a vu Hêna chez Marie-la-Catelle et chez nous.

— L’infortuné !

— Ah ! bien infortuné ; car en lisant ces pages où il épanchait sa douleur, son désespoir, j’ai pleuré…

— Vous sait-il instruit de son secret ?

— Oui… car, lorsque, sortant de sa longue défaillance, il a vu entre mes mains ces fragments de son journal, il a jeté un cri d’effroi. « — Rassurez-vous, — lui ai-je dit, — l’âme d’un honnête homme respire dans ces tristes révélations ; je ne peux que vous
 plaindre. »