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l’ordre doit être plus spécialement attachée. Ces renseignements ainsi conservés dans notre ordre, et transmis de siècle en siècle, lui offriront mille moyens secrets de surveillance et d’action sur les générations futures.

» Notre cher fils Lefèvre inaugurera donc le registre de la province de France en y inscrivant (pour mémoire, je l’espère) le nom de la famille Lebrenn ; on y ajoutera ceux de Robert Estienne, de Gaspard de Coligny, du prince de Gerolstein, d’Ambroise Paré, de Clément Marot, de Bernard Palissy, du vicomte de Plouernel et autres, qu’il serait trop long d’énumérer ici, mais que l’on trouvera dans les listes d’hérétiques fournies par le Gainier à M. le lieutenant criminel, qui s’empressera de mettre ces documents à la disposition de notre cher fils Lefèvre, que Dieu garde…

» I. L. »

Ignace de Loyola ! — ajouta Christian, traduisant ainsi les initiales I et L prononcées par Robert Estienne, qui, muet de stupeur, regardait l’artisan. Celui-ci reprit avec une sombre amertume : — Les ordres d’Ignace de Loyola ont été suivis… Ma femme… — et il étouffa un sanglot, — ma femme a été arrêtée, emprisonnée comme hérétique… Béni soyez-vous, mon Dieu ! elle est morte en prison… cette mort l’a sans doute sauvée du bûcher !… Ma fille a été conduite au couvent des Augustines, où la malheureuse enfant a été hier contrainte de prononcer des vœux éternels… Mon fils Hervé… que dis-je ? ah ! ce monstre ne mérite plus le nom de mon fils…

— Qu’avez-vous donc à lui reprocher ?

— Une lettre de ma fille adressée à sa mère, dont elle ignorait la mort, m’a mis sur la voie d’un horrible secret… J’ai interrogé là-dessus ce matin mon beau-frère, qui, plus heureux que moi, avait pu voir Brigitte dans sa prison… il m’a tout avoué en frémissant…

— Achevez, mon ami…

— Non, non, c’est trop affreux… je deviendrais fou en pensant à cela… — Et essuyant son front baigné d’une sueur froide, l’artisan