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souffrir avant de voir l’aurore de ce beau jour d’affranchissement prédit par Victoria-la-Grande ; mais comptez les pas déjà faits à travers les âges par notre race asservie depuis la conquête des rois francs ! songez à ces temps maudits où la Gaule ressemblait à un immense atelier d’esclavage, où nos pères, courbés sous le fouet et sous le glaive, étaient parqués, vendus, exploités, comme un vil bétail, abrutis, terrifiés, saignants sous le double joug des leudes de Clovis et des évêques ses complices. Ainsi nos pères ont traîné leur misérable vie pendant cinq siècles et plus, malgré l’héroïque révolte des Vagres, descendants des Bagaudes et précurseurs des Jacques. Mais enfin les horreurs de la féodalité soulèvent les communes, premier signal de la grande et terrible lutte des conquis contre les conquérants, des opprimés contre les oppresseurs, lutte continuée par Marcel, par les Maillotins, par les Cabochiens ; lutte féconde, car à chacun de ces combats acharnés nous avons brisé quelque anneau de notre chaîne séculaire. Et enfin, voici qu’au quinzième siècle ce peuple, d’abord esclave, puis serf, puis vassal, et jadis si tremblant devant ses maîtres, rois, évêques et seigneurs, se redresse, revendique hardiment ses droits spoliés par la conquête, par l’Église, et les représentants de notre race asservie, siégeant aux États généraux, disent aux seigneurs, aux évêques et au roi : « Il est temps de mettre terme à vos exactions, à vos tyrannies ; le peuple est las d’entretenir votre opulente fainéantise. Rois issus de la conquête et sacrés de droit divin par l’Église, votre éternelle complice, vous n’êtes rien que par la volonté de la nation ; la royauté n’est point un pouvoir à jamais acquis et héréditaire, mais une magistrature révocable par les Assemblées nationales, car rien n’est solide ni saint sans leur aveu… »

Oui, fils de Joel, voilà ce qui a été hardiment déclaré à la royauté, à l’Église et aux seigneuries lors de la convocation des États généraux en 1484. La cour, effrayée de leur fière attitude, les dissout ; mais ils se séparent en protestant que le subside n’est voté que pour deux ans, et se réservent de demander un compte sévère de son em-