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— Picrochole, je t’ai connu à la guerre…

— Oui, j’étais arquebusier dans la compagnie de M. de Montluc ; mais las de tuer à la bataille, et sans profit, des Italiens, des Espagnols, des Suisses, des Flamands, que je ne connaissais point, j’ai préféré tuer, pour de l’argent, des Français, que je connaissais moyennant leur signalement qu’on me donne. Je me suis fait Mauvais-Garçon ; je mets au service de qui me paye ma dague et mon épée.

— C’est être soldat d’une autre manière, — ajouta Grippe-Minaud ; — mais il faut pour ce métier un courage que je possède peu. Je préfère m’adresser à d’honnêtes bourgeois qui, la nuit venue, regagnent leur demeure sans autre arme… qu’une lanterne.

— Picrochole, — reprit le franc-taupin, — je t’ai sauvé la vie à la bataille de Mirande, je t’ai dégagé des mains de deux lansquenets qui, sans moi…

— Saint Cadouin ! me crois-tu ingrat !… Est-ce un service que tu as à me demander ?

— Un grand service.

— Parle…

— En te rencontrant tantôt, la pensée m’est venue que tu pouvais me venir en aide…

— Est-ce un ennemi dont il faut te débarrasser ?

Joséphin secoua négativement la tête et montra du bout du doigt sa longue épée, déposée sur la table.

— Tu es capable de te débarrasser toi-même de tes ennemis ? Je le crois ; je t’ai vu batailler ! — reprit le mauvais-garçon. — De quoi s’agit-il donc alors ?

Le franc-taupin poursuivit d’une voix navrée, tandis qu’une larme roulait dans son œil :

— Picrochole, j’avais une sœur…

— De quel ton tu dis cela ! tu ne dirais pas plus tristement… Picrochole, les pots sont vides !…