Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 10.djvu/240

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quitte plus mon lit… Si ce soir, à la nuit, je parvenais à sortir du couvent, j’irais avertir M. Lebrenn du péril imminent dont sa fille est menacée ; peut-être, grâce à la recommandation de M. Robert Estienne, la princesse Marguerite obtiendrait-elle la liberté d’Hêna avant qu’elle ait pris le voile.

… Mon Dieu ! exaucez ma dernière prière, et délivrez-moi ensuite de mes tristes jours !… Je demanderai à être enseveli dans mon froc, où je cacherai ces feuillets, seuls confidents de ce fatal amour ! Amères confidences !… elles ont été ma seule consolation dans ma douleur !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


La taverne du Vin Pineau (telle était son enseigne) servait de rendez-vous aux bandits de toute sorte qui infestaient alors la cité de Paris. Les archers du guet respectaient ce coupe-gorge à demi souterrain ; ils ne s’aventuraient jamais dans la ruelle tortueuse et obscure au milieu de laquelle se balançait et grinçait au vent la vieille enseigne du Vin Pineau, bien connue des larrons. Trois hommes attablés dans l’un des réduits de ce repaire s’entretenaient d’un projet important, à en juger par le mystère dont ils entouraient leur réunion ; Pichrochole-le-Mauvais-Garçon et son compère Grippe-Minaud-le-Tire-laine, qui assistaient plusieurs mois auparavant à la vente des indulgences dans l’église de Saint-Dominique, étaient deux des interlocuteurs de cette conversation, engagée depuis quelques instants avec Joséphin-le-franc-taupin. Transformation étrange, cet aventurier, jadis d’une inaltérable bonne humeur, était méconnaissable ; ses traits mornes, farouches révélaient de profonds chagrins, et il laissait près de lui son pot plein de vin.

— Saint Cadouin ! — dit Picrochole en manière d’invocation dévote, — nous voici seuls ; nous diras-tu ce que tu veux de nous, Joséphin ?