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… J’ai fait un rêve étrange !

Devenu pasteur de la religion réformée, j’avais pu épouser Hêna… nous habitions un village au fond d’une riante vallée ; je donnais l’instruction aux jeunes garçons, Hêna aux jeunes filles. Dieu bénissait notre union ; deux beaux enfants, le portrait de leur mère, ajoutaient de nouveaux liens à notre tendresse…


… Oh ! misérable fou que je suis ! au lieu d’appesantir ma pensée sur ce rêve, que ne puis-je l’arracher de mon esprit ! comme je voudrais pouvoir arracher mon cœur de ma poitrine ! Jusqu’ici, du moins, je trouvais une amère consolation dans cette pensée : l’impossible… — Je suis moine ; un obstacle infranchissable me sépare d’Hêna ! — me disais-je. Ma douleur se repaissait de ma douleur même ; plongé dans un labyrinthe sans issue, aucune lueur d’espérance ne pénétrait la noire profondeur de mon désespoir ; mais à cette heure, mais depuis ce rêve funeste, je me dis :

— Et pourtant, je pouvais être heureux ! je pouvais embrasser la religion évangélique, devenir l’un de ses pasteurs, ne pas forfaire à mon serment de me vouer au service de Dieu, et cependant épouser Hêna, puisque les ministres réformes ne sont pas soumis au célibat…


… Merci à vous, mon Dieu ! si insensée même que fût cette espérance, elle s’est évanouie… je suis retombé dans l’abîme de ma désespérance… Pauvre malheureux fou ! pour épouser Hêna, il fallait qu’elle t’aimât ! et son cœur aurait-il pu jamais battre pour un homme vêtu d’un froc de moine !


… Qui m’a fait moine ? Avais-je donc, à treize ans, la raison assez mûre pour décider de ma vocation, pour comprendre ce qu’il y a de terrible dans l’éternité des vœux monastiques ? N’est-ce pas