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presque seul chargé de ces fonctions. Je lui demandai de faire parvenir une lettre de moi à ma famille. — Il doutait que l’on me laissât écrire, — me répondit-il ; — et il n’avait aucun moyen de communication avec le dehors, étant soumis lui-même à une extrême surveillance. — Je lui racontai mes souffrances, mes chagrins, depuis mon entrée chez les Augustines ; je l’entendis pleurer dans l’ombre, et lorsque je le priai de me donner ses conseils, il me dit :

— Si vous vous sentiez, ma sœur, une vocation religieuse décidée, si vos parents l’approuvaient, je vous engagerais cependant à réfléchir longtemps avant de prononcer si jeune des vœux éternels ; mais cette vocation, vous ne l’avez pas, vous êtes retenue contre votre gré, à l’insu de votre famille. Que résoudre en cette pénible circonstance ?… Refuser, ainsi que vous l’avez fait jusqu’ici, de prendre le voile, c’est vous exposer à subir de nouveau des mauvais traitements, des rigueurs, auxquels vous succomberiez ; entrer en religion, même contrainte par la force, c’est vous engager éternellement, c’est renoncer à jamais aux douces joies de la famille… Avant de choisir entre ces deux fatales extrémités, ma sœur, il faut tâcher de gagner du temps, prolonger les délais nécessaires à votre éducation religieuse ; votre père et votre oncle se sont sans doute mis activement à votre recherche. J’ai appris par Marie-la-Catelle que M. Lebrenn jouit de l’affection de M. Robert Estienne ; la princesse Marguerite a beaucoup d’estime pour ce célèbre imprimeur, elle pourrait, grâce à ses instances, peut-être obtenir du roi, son frère, votre sortie de ce couvent. L’important est donc d’instruire votre famille du lieu où vous êtes ; je tenterai tous les moyens possibles pour arriver à ce résultat, malgré la surveillance incessante dont je suis entouré ; mais il faut, quant à présent, je vous le répète, ma sœur, gagner du temps. Je m’efforce en vain à pénétrer le motif de votre séquestration ; je sais, il est vrai, que déjà l’on a soustrait des enfants à leurs parents soupçonnés d’être partisans de la religion réformée ; peut-être faut-il attribuer à une cause pareille la mesure dont vous