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presque contrefait, âgé de treize ans et demi, était d’une santé si débile, que son père lui avait interdit de continuer ses études, l’assurant qu’il saurait toujours suffisamment de latin s’il connaissait et pratiquait cette maxime : — Qui nescit dissimulare nescit regnare (qui ne sait dissimuler ne sait régner). La France vit avec inquiétude ses destinées livrées aux mains d’un enfant ou aux hasards d’une régence. L’esprit public, longtemps endormi ou terrifié sous Louis XI, aussi prodigue de promesses mensongères que de rigueurs, se réveilla ; de courageux citoyens reprirent l’œuvre d’affranchissement poursuivi depuis Étienne Marcel par les Maillotins et par les Cabochiens. D’un bout à l’autre de la Gaule, on demanda la convocation des États généraux ; Anne de Beaujeu, sœur de Charles VIII et régente, dut céder au vœu général du pays. L’assemblée des États se réunit à Tours en 1483, peu de temps après la mort de Louis XI. Moi, Christian Lebrenn, j’ai eu entre les mains une copie du Journal de ces États généraux ; j’y ai lu et j’ai noté de patriotiques et sévères paroles, adressées au chancelier de France par le bourgeois Philippe Pot, parlant au nom des communes. Il protestait énergiquement contre la nomination du conseil de régence, composé des princes du sang, prétendant, avec raison, que, seule, l’Assemblée nationale était investie du droit de déléguer le pouvoir souverain.

« Avant tout, je désire que vous soyez bien convaincu que la chose publique n’est que la chose du peuple, — disait Philippe Pot au chancelier. — Le peuple a délégué aux rois sa souveraineté ; quant à ceux qui ont exercé le pouvoir de toute autre manière et sans le consentement des citoyens, ils n’ont pu être réputés que tyrans et usurpateurs du bien d’autrui. Il est évident que le roi n’étant pas en âge de gouverner par lui-même la chose publique, d’autres doivent le suppléer ; mais ces fonctions n’appartiennent pas à quelques princes de sa famille, elles appartiennent à ceux que la nation désignera. Le pouvoir souverain doit revenir au peuple, qui l’a transmis ; or, j’appelle le peuple, non le populaire ou certaines