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s’abaisser à la lâcheté, au mensonge. Je périrai dans le couvent ou j’en sortirai pour retourner auprès de ma famille. » J’attendais impatiemment la religieuse, non plus pour me soumettre, mais pour lui déclarer ma ferme résolution de résister à sa volonté ; vaine attente ! je te l’ai dit, bonne mère, pendant huit jours environ, personne ne vint. Ma détermination, au lieu de faiblir, s’exaltait dans la solitude ; je passais mes journées à songer à vous. Le croirais-tu, souvent la contention de mon esprit devenait si forte, que je me figurais vous voir, vous entendre ; je n’étais plus dans ce caveau, j’étais près de vous, dans notre maison. Chaque matin, à mon réveil, après ma prière, j’invoquais pour vous les bénédictions du ciel ; puis je disais : — Bonjour, père, bonjour, mère… — je vous racontais mon affliction, mes souffrances, vous m’encouragiez à ne pas succomber dans cette rude épreuve, vos sages et tendres paroles me réconfortaient… Enfin, je pensais aussi à…

… Je viens d’hésiter un instant devant la vérité ; mais vous m’avez enseigné l’horreur du mensonge ou de la dissimulation… Je continue donc ; seulement, bonne mère, je ne sais si, lorsque tu recevras cette lettre, tu seras encore prisonnière et séparée de mon père ; si vous êtes au contraire réunis, peut-être devras-tu ne pas lui donner connaissance du passage que tu vas lire… peut-être, et c’est ma vive espérance, mon père ignore-t-il que celui que j’appelais mon frère…

Je n’achève pas, ma main tremble à ce souvenir.

Que te dirai-je ?… durant cette horrible soirée, avant ton retour inattendu à la maison, avant que j’eusse compris l’affreuse signification des paroles d’Hervé, il m’avait éclairée malgré moi sur le sentiment que j’éprouvais pour frère Saint-Ernest-Martyr… Tu te le rappelles, bonne mère, ce jour-là même, je te manifestais ma surprise de ce que ma pensée se reportait si souvent vers ce jeune moine ; hélas ! à cette heure, je ne saurais plus en douter, c’était de l’amour que j’éprouvais pour lui… et au fond de ma prison, dans mes nuits