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Christian ; je n’ai ni femme ni enfants, mon absence prolongée n’inquiétera personne ; je préfère gagner la bastille Saint-Antoine. Nous nous retrouverons tantôt, je l’espère, à l’imprimerie…

Les deux amis se séparent ; Christian, dont l’angoisse augmente à chaque instant en songeant à la pauvre Marie-la-Catelle et à ceux qui l’accompagnent, se résout à pénétrer à tout risque dans Paris ; cependant, avisant près de lui un paysan conduisant une charrette remplie de légumes et recouverte d’une toile soutenue par des cerceaux, il lui dit en tirant de sa poche une pièce de monnaie :

— Mon ami, je suis harassé de fatigue, je vais du côté des halles ; voulez-vous me donner place dans votre charrette jusqu’au milieu de la ville ?

— Volontiers… — répondit le paysan en prenant la pièce de monnaie.

Christian monte et se tapit au fond du chariot, écarte les plis de la toile afin de tâcher de voir au dehors ; car les clameurs deviennent de plus en plus menaçantes. Hélas ! à peine la charrette, après avoir passé sous la voûte de la porte, a-t-elle pénétré dans l’intérieur de la cité, que Christian, dominant la foule, aperçoit à peu de distance de lui, déjà garrottés, Marie-la-Catelle, son beau-frère Poille, Jean Dubourg et Laforge ; un rang d’archers contenait à grand-peine la multitude furieuse demandant à grands cris qu’on lui livrât « ces hérétiques, ces ensabbattés, ces luthériens égorgeurs d’enfants ! » Les victimes, pâles mais calmes, un sourire de triste pitié aux lèvres, promenaient sur ces fanatiques un regard serein ; Marie-la-Catelle, les yeux levés au ciel, les mains croisées sur la poitrine, semblait résignée au martyre. Les imprécations redoublaient ; déjà les plus forcenés du populaire ramassaient des pierres afin de lapider les victimes, lorsque la charrette où se cachait Christian, poursuivant lentement sa marche, déroba ce cruel spectacle à la vue de l’artisan. Il sut plus tard les détails de l’arrestation de ses amis. La Catelle et son beau-frère, depuis longtemps signalés par le Gainier comme héréti-