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frères, c’est quelque chose d’horrible que la guerre civile ! un homme de bien doit épuiser la source de toutes les amertumes, de toutes les douleurs, et, s’il le faut, subir le martyre en confessant sa foi plutôt que de déchaîner sur son pays les horreurs d’une lutte fratricide !

jean calvin. — Monsieur de Coligny, quelle est votre opinion ?

gaspard de coligny. — Monsieur, je suis de beaucoup, je crois, le plus jeune de l’assemblée ; je me rangerai à l’avis qui prévaudra.

jean calvin. — De grâce, parlez… Vous êtes homme de guerre ; il importe de connaître votre opinion…


gaspard de coligny. — Puisque vous insistez, monsieur, je dois déclarer ici que ma famille doit beaucoup aux bontés du roi ; il a bien voulu me confier, à moi presque adolescent, une compagnie dans son armée ; je suis donc lié envers lui par la reconnaissance… Mais il est pour moi un sentiment supérieur à celui de la gratitude due à des faveurs royales… ce sentiment est celui des devoirs qu’impose la foi ! Tout en déplorant les cruelles extrémités de la guerre civile, dont j’ai horreur ; tout en regrettant profondément de tirer l’épée contre le roi, ou plutôt contre ses funestes conseillers, je me résoudrais à cette fatalité si, la persécution arrivant à ses dernières limites, il fallait défendre la vie de nos frères, placés dans cette alternative : de périr ou d’abjurer leur foi… Quant à me prononcer sur l’opportunité du moment de la lutte, si ce qu’à Dieu ne plaise, elle doit jamais s’engager… je laisse cette décision à de plus expérimentés que moi ; mais au moment de l’action, mes biens, mon épée, ma vie, seront au service de la cause.

ambroise paré. — Christ et la charité de ma profession m’ordonnent d’accorder également mes soins à nos amis et à nos ennemis ; je ne saurais donc apporter ici, mes frères, que des paroles de paix. Soyons inflexibles dans notre croyance, mais forçons nos persécuteurs eux-mêmes à reconnaître notre modération ; lassons leur violence par notre patience.

le vicomte de plouernel. — La patience pourtant a un terme !…