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plus de tournois, plus de mascarades, plus de festins somptueux, plus de galas ; Louis XI préférait consacrer à l’entretien d’une compagnie de cent lances la somme qu’il eût dépensée en un seul jour de liesse. Les courtisans, habitués aux prodigalités de Charles VII, à faire chère lie dans le palais royal, se montrèrent déconvenus et courroucés de l’avarice, de la bassesse de ce roi : ne prenait-il pas pour chambellan son barbier Olivier-le-Diable, et pour compère Tristan-l’Hermite, prévôt des bourreaux. Les princes du sang, les grands vassaux, instruits des projets de Louis XI à leur égard, n’attendirent pas d’être frappés ; ils se liguèrent avec la noblesse, ayant à leur tête Charles-le-Téméraire, fils du duc de Bourgogne, ancien hôte de Louis XI.

Jean de Calabre, le duc de Bourbon, le duc de Nemours, le comte d’Armagnac, le duc de Bretagne, le sire d’Albret, et enfin le duc de Berry, frère du roi, étaient les principaux moteurs de cette ligue, qu’ils appelaient Ligue du Bien public, afin de donner à croire au peuple qu’ils se liguaient dans son intérêt. Les révoltés levèrent une armée de plus de cent mille hommes ; ils voulaient réduire Louis XI à la royauté de l’Île-de-France, et le forcer de les reconnaître princes souverains indépendants de la couronne. Le rusé sire opposa bientôt à la ligue des seigneuries la ligue des bourgeoisies ; il abolit d’un trait dans toutes les villes tailles, gabelles, aides, taxes et surtaxes ; il rendit aux communes leurs franchises ; il se déclara le très-cher ami et bon compère des bourgeois et du populaire. Les simples ajoutèrent foi à la sincérité de ces actes ; Paris s’enthousiasma du roi réformateur. N’accordait-il pas de son plein gré les réformes poursuivies d’âge en âge, avant Marcel, par les communes, et depuis lui, par les Maillotins et les Cabochiens ? Paris fournit vingt mille hommes à Louis XI pour l’aider à combattre la Ligue du Bien public… Et ici, fils de Joel, remarquez quel progrès accompli à travers les siècles : les seigneuries, les princes du sang, n’osent avouer ouvertement que leur orgueil et leur cupidité sont les mobiles de leur révolte ; pour lui créer des partisans, ils sont obligés de la colorer du prétexte du bien public.