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Christian regarda Karl de Gerolstein, sans dissimuler sa stupeur de rencontrer un étranger singulièrement instruit de ces particularités de famille remontant à tant de siècles ; le prince poursuivit :

— Vers le milieu du huitième siècle, l’un de vos aïeux, nommé Ewrag, fils de Vortigern, l’un des plus intrépides défenseurs de l’indépendance de la Bretagne, et petit-fils d’Amael, qui connut Charlemagne, quitta sa terre natale ?

— Oui, après la grande insurrection armoricaine. Les Bretons avaient fait appel dans cette révolte aux pirates northmans établis à l’embouchure de la Loire ; Ewrag s’embarqua pour le Nord avec ces gens de mer.

— Il laissait en Gaule deux de ses frères ?

— Rosneven et Gomer…

— Cet Ewrag, désormais établi au Danemark, eut un petit-fils nommé Gaelo ; il fut, en l’année 912, l’un des chefs de pirates qui vinrent assiéger Paris sous le commandement du vieux Rolf, plus tard duc de Northmandie ?

— Encore une fois, monsieur, comment savez-vous ?…

Karl de Gerolstein sourit et reprit :

— Gaelo fut reconnu comme l’un des membres de votre famille par Eidiol, en ces temps-là doyen des nautoniers parisiens ?

— En effet, Gaelo fut amené blessé dans la maison de mon aïeul Eidiol ; l’on aperçut en pansant la blessure du pirate northman ces deux mots : Brenn-Karnak, tracés sur son bras en caractères ineffaçables, usage souvent adopté en ces temps désastreux où la violence et l’esclavage séparaient fréquemment les familles dès le berceau. Grâce à ces signes indélébiles, elles pouvaient du moins espérer de reconnaître et retrouver leurs enfants au milieu de tant de bouleversements.

— Gaelo, après avoir épousé la belle Sygne, l’une des Vierges-aux-Boucliers, faisant partie de l’expédition du vieux Rolf, repartit pour le Nord ?