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de déchirements à propos du retour de l’affection du seigneur Hervé pour une sœur qui l’aime autant qu’elle en est aimée !… — Puis, s’attristant et regardant son frère : — Tiens, mon ami, je regrette mes railleries, car enfin tu as souffert pendant longtemps, ta pauvre figure devenait méconnaissable, tu semblais accablé par un chagrin secret… l’on ne peut nier cela… De ce chagrin, quelle était la cause ? Nous l’ignorons encore…

— La cause était mon amour pour toi, Hêna !

— Encore ?… Allons, Hervé, je ne suis qu’une pauvre fille bien ignorante auprès de toi, qui sais le grec et le latin ; j’admire ton savoir, je le respecte ; mais lorsque tu me dis que la cause de ton secret chagrin était ton attachement pour moi, je…

— J’ai dit amour, Hêna…

— Amour, attachement, tendresse, n’est-ce pas la même chose ?

— Non… oh ! non !

— Comment, non ?

— Écoute-moi… Tu me parlais avant-hier de frère Saint-Ernest-Martyr ?

— Justement, tout à l’heure encore, je m’entretenais de lui avec notre mère… — Et s’interrompant : — Mon Dieu ! chère bonne mère ! quand je songe qu’à cette heure elle est dans les rues, sans personne qui puisse la protéger !… La demeure de la Catelle est si éloignée d’ici…

— Rassure-toi, notre mère ne court aucun danger.

— Que le ciel t’entende, Hervé !

— Il m’entendra… Mais revenons au frère Saint-Ernest-Martyr, dont tu parlais tout à l’heure encore à notre mère… Dis-moi, ce moine, l’aimes-tu de la même manière que tu m’aimes ?

— Est ce que cela se peut comparer ? J’ai passé ma vie près de toi, tu es mon frère… et je n’ai pas vu plus de cinq à six fois ce jeune moine…

— Tu l’aimes… je le sais… ne mens pas !