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charmant que lui causaient ses propres sentiments ; Brigitte, attendrie, mais secrètement alarmée, ne sut que répondre à sa fille, qui reprit :

— Mon Dieu ! oui, mère, j’ai rêvé de lui ; je le voyais recueillir à la porte d’une église un pauvre petit enfant grelottant de froid, le prendre dans ses bras, le réchauffer de son haleine, le contempler d’un air si apitoyé, si tendre, que les larmes me gagnaient. Enfin, que te dirai-je ? cela m’a tellement émue, que je me suis éveillée en sursaut… et je pleurais réellement !

— Ce rêve est singulier, chère fille…

— Singulier ?… Oh ! non, ce rêve, je me l’explique, à la rigueur. Avant-hier, Hervé m’a raconté un trait charitable de frère Saint-Ernest-Martyr ; le soir même, nous voyons ce pauvre moine transporté ici le visage ensanglanté ; j’aurai eu l’esprit frappé, j’aurai rêvé de lui, cela se conçoit… mais ce que je ne conçois pas, c’est qu’éveillée… bien éveillée, je rêve encore à lui… Y comprends-tu quelque chose, toi, mère ? Tiens, en ce moment même, en fermant les yeux, — et Hêna, souriant, les ferma, — je le vois comme s’il était là, avec sa figure si douce lorsqu’il regarde les petits enfants…

— Mais enfin, chère fille, lorsque tu penses à frère Saint-Ernest-Martyr, de quelle nature sont tes pensées ?

— De quelle nature ?

— Qui, chère enfant ?

Hêna se recueillit un instant et répondit :

— Comment t’expliquer cela, mère ? Lorsque je pense à lui, je me dis : Combien il est bon, généreux, vaillant, frère Saint-Ernest-Martyr ! Avant-hier, il brave les épées pour défendre Marie-la-Catelle ; un autre jour, au pont Notre-Dame, il se jette à l’eau pour sauver un malheureux qui se noyait ; il recueille des petits enfants abandonnés ou bien il les instruit avec tant d’affection, de sollicitude, qu’un tendre père ne leur témoignerait pas plus d’intérêt…

— En y réfléchissant, chère fille, il n’y a dans tout ceci rien que