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dirais-je pas ?… Ce serait la première fois de ma vie que j’aurais un secret pour toi…

— Oh ! je connais ta franchise… Eh bien, quelle est la cause de tes distractions ?

— Quelle en est la cause ? Le croirais-tu ? c’est… frère Saint-Ernest-Martyr…

Brigitte interrompit brusquement sa broderie, contempla sa fille avec une telle surprise, qu’Hêna la remarqua et reprit avec un candide et nouveau sourire :

— Cela t’étonne, n’est-ce pas, mère ? Et moi donc !… Ah ! je suis encore bien plus étonnée que toi, va !

Hêna prononça ces mots avec une si adorable ingénuité, son beau regard, limpide et pur comme son âme, s’attacha sur celui de sa mère avec tant de confiance et de sérénité, que Brigitte, à la fois inquiète et rassurée, inquiète de cette révélation étrange, rassurée par l’innocente sécurité d’Hêna, lui dit après un moment de silence :

— En effet, chère fille, je suis surprise de ce que tu m’apprends ; tu n’avais vu, ce me semble, frère Saint-Ernest-Martyr que deux ou trois fois chez notre amie Marie-la-Catelle avant qu’il fût transporté chez nous à la suite de ce malheureux événement arrivé l’autre soir sur le pont ?

— Certainement, mère ; et voilà justement ce qu’il y a d’extraordinaire… Comment se fait-il, je te le demande un peu, qu’après l’avoir rencontré seulement deux ou trois fois, je pense, depuis avant-hier, presque constamment à frère Saint-Ernest-Martyr ? Et ce n’est pas tout…

— Quoi donc encore ?

— Est-ce que cette nuit je n’ai pas rêvé de lui !

— Rêvé de lui ! — dit vivement Brigitte, — tu as rêvé de lui ?

Hêna, pour toute réponse, et loin de le fuir, cherchant le regard maternel, fit par deux fois un signe de tête affirmatif, en ouvrant bien grands ses beaux yeux bleus, où se lisait l’étonnement naïf et