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honorable sentiment de vergogne, et vous ne méritez pas l’excommunication[1]. »

— Je suis bénéficier, — reprend Loyola, — je paye une pension viagère à un quidam, je désire sa mort, afin d’être libéré envers lui ; ou bien, héritier d’un père opulent, je suis impatient de voir arriver le terme de sa vie… Je m’accuse à vous de ces sentiments ?

« — Mon fils (répondrai-je), un bénéficier peut, sans péché, désirer la mort de ceux qui ont pension sur son bénéfice, en cela que ce n’est point la mort de ses créanciers qu’il souhaite, mais l’extinction de sa dette. Mon fils (répondrai-je à l’autre pénitent), vous commettriez un crime abominable en désirant par pure méchanceté la mort de votre père ; mais vous ne péchez nullement en la désirant, non dans une pensée parricide, mais uniquement dans l’impatience de jouir de son héritage[2]. »

— Je suis valet, je viens à vous m’accuser d’être l’entremetteur des amours de mon maître et, de plus, de l’avoir larronné ?

« — Mon fils (répondrai-je), porter les lettres ou les présents à la concubine de votre maître, l’aider même à s’introduire chez elle en tenant l’échelle où il monte, sont choses permises ou indifférentes, puisque, en votre qualité de serviteur, ce n’est point à votre volonté que vous obéissez, mais à celle d’autrui[3]. Quant aux larcins que vous avez commis, il est évident que si, par nécessité, vous avez été forcé d’accepter des gages trop minimes, vous êtes en droit de récupérer autrement un salaire légitime[4]. »

— Je suis spadassin ; je m’accuse au tribunal de la pénitence de m’être battu en duel ?

« — Mon fils (répondrai-je), si en vous battant vous avez cédé, non point à une pensée homicide, mais au besoin légitime de venger votre honneur, vous n’avez pas péché[5]. »

— Je suis lâche ; je me suis défait de mon ennemi par un meurtre

  1. Blaise Pascal, lettres écrites à un Provincial, Paris, Firmin Didot, 1852, p. 60.
  2. Ibid., p. 88.
  3. Ibid., p. 79.
  4. Ibid., p. 80.
  5. Ibid., p. 90.