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maison avec précaution, referma sans bruit la porte derrière lui, afin que l’on ne soupçonnât pas d’où il sortait ; et, avisant à leurs croisées plusieurs de ses voisins attirés par le bruit, il leur cria :

— Aux bâtons, mes amis ! aux bâtons !… Souffrirez-vous que l’on outrage des femmes sous vos yeux ? que l’on assomme des gens sans défense ?…

Et il se dirigea résolument vers les trois seigneurs et leurs pages. À ce moment, le franc-taupin, de retour, apportait le pot de vin d’Argenteuil qu’il était allé quérir ; mais reconnaissant l’artisan à la lueur des flambeaux et l’entendant appeler ses voisins aux bâtons, il déposa le flacon de vin au seuil de la maison et tira sa longue épée, s’écriant :

— Ventre saint Quenet ! beau-frère, me voici ! Ma fine lame n’a pas pris l’air depuis longtemps ; elle frétille d’aise dans ma main, la mignonne !

Quelques voisins de Christian sortirent comme lui de leurs demeures, armés les uns de bâtons, les autres de piques. Les trois seigneurs firent d’abord brave contenance, se serrèrent côte à côte et, dégaînèrent ; mais leurs pages, autant par crainte d’être assommés dans la bagarre que par malice, éteignirent tout à coup leurs flambeaux en criant :

— Messeigneurs ! voici une ronde d’archers du guet ; ils débouchent sur le pont… Alerte ! alerte !…

Les pages, après ce mensonge, se sauvent à toutes jambes, laissant leurs maîtres et leurs adversaires dans une obscurité profonde. Peu soucieux des archers du guet, qui n’osaient jamais réprimer les désordres de la seigneurie, mais songeant qu’il fallait tenir tête à huit ou dix hommes déterminés, les trois seigneurs, profitant des ténèbres, s’esquivèrent sur les pas de leurs pages, tandis que les voisins de Christian demandaient une lanterne, afin de pouvoir relever le blessé ; l’artisan court chez lui, allume et rapporte un fallot. À sa clarté, il voit le moine étendu au pied de la croix et baigné dans son