Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 10.djvu/133

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Oui, mon ami.

— M. Robert Estienne m’a confié un secret et demandé un service, ma chère Brigitte. Il s’agit de cacher ici, pendant un jour ou deux M. Jean, notre hôte de ce soir ; le galetas m’a semblé offrir une retraite sûre. J’ai momentanément éloigné ton frère ; accompagne notre hôte là haut, je reste ici pour attendre Joséphin.

Brigitte reprit la lampe qu’elle venait de déposer sur la table, et dit à l’inconnu en se préparant à monter l’escalier :

— Venez, monsieur ; notre secret restera entre Christian et moi ; vous pouvez compter sur notre discrétion.

— Je n’en doute pas, madame, — répondit M. Jean ; de ma vie je n’oublierai votre généreuse hospitalité. — Puis, s’adressant à l’artisan : — Pourrez-vous plus tard, lorsque votre beau-frère se sera retiré, venir me rejoindre ? je désirerais m’entretenir avec vous pendant quelques instants.

— J’irai vous trouver, monsieur, aussitôt après le départ de Joséphin, — répondit Christian à l’inconnu, qui suivit Brigitte à l’étage supérieur.

Tous deux venaient de disparaître, lorsque soudain des clameurs, des éclats de rire, auxquels se joignaient par intervalle les cris suppliants d’une femme, se firent entendre sur le pont. Quoique habitué à ces tapages nocturnes, car à la nuit les guilleris, les mauvais-garçons, les tire-laine et autres bandits, infestaient les rues, que souvent troublait aussi le vacarme des jeunes seigneurs en débauche, le premier mouvement de l’artisan fut d’aller au secours de celle dont les cris devenaient de plus en plus plaintifs ; mais réfléchissant que les honnêtes femmes ne s’aventuraient guère à une pareille heure hors de chez elles, craignant surtout, en intervenant dans cette rixe, de provoquer l’envahissement de sa demeure et de compromettre ainsi la sécurité de son hôte, il entrouvrit le volet de la fenêtre de la salle basse, et voilà ce qu’il vit à la lueur de plusieurs flambeaux portés par des pages habillés de riches livrées. Trois seigneurs avinés,