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caresse, les encoqueluchonne, les goberge, les empâte, les engraisse, pourvu qu’ils marchent à son contentement… Et il en est ainsi : qui a l’âme a le corps !… »

Christian hésitait à croire le récit du franc-taupin ; il ne pouvait admettre la réalité de ce monstrueux portrait. M. Jean semblait moins surpris, mais plus alarmé ; il dit à Joséphin, qui, ayant voulu de nouveau se verser à boire, soupirait en voyant les pots vides :

— Mais par quel concours de circonstances extraordinaires Ignace de Loyola, tel que vous nous le dépeignez, tel qu’il était, je le crois, a-t-il pu se métamorphoser à ce point, de venir ici, à Paris, s’asseoir sur les bancs du collège Montaigu, parmi les plus jeunes écoliers, des enfants de dix ans ?

— Quoi ! — dit Christian stupéfait, — Ignace de Loyola ?…

— Il allait à ce collège, — reprit M. Jean ; — et un jour, il s’est résigné à recevoir publiquement le fouet, en châtiment d’un manque de mémoire. Tant d’humilité chez un tel homme a quelque chose d’inexplicable ou d’effrayant.

— Ignace de Loyola ! ce débauché ! ce spadassin ! ce superbe orgueilleux !… — s’écria Christian. — Qu’entends-je ?… est-ce bien possible ?…

— Ventre saint Quenet ! beau-frère, — reprit à son tour le franc-taupin, — l’on me dirait que les moines de Cîteaux ont laissé leurs tonnes vides après la vendange, que cela me semblerait moins énorme que ceci : Le capitaine Loyola mettre bas ses chausses et recevoir le fouet… Diavol ! à moi !… — s’écria le franc-taupin en égouttant inutilement un pot ; — j’étrangle de surprise !…

— Mais il ne faut pas étrangler de soif, brave Joséphin, — reprit Christian, souriant à demi et échangeant un regard d’intelligence avec M. Jean. — Ces pots sont vides ; il faudra que tout à l’heure, votre récit achevé, et afin de fêter notre hôte, vous alliez chercher dans certaine taverne que vous connaissez un pot de bon vin vieux d’Argenteuil.