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surer de sa trempe. Voilà comme il était terrifié de la mort de sa maîtresse… Le mari, don Hercule, sort de sa maison, s’approche de mon maître et lui dit : « — Don Ignace de Loyola, je t’ai reçu en ami à mon foyer, tu as suborné ma femme, tu es un félon indigne de toute chevalerie ! » — À cela, beau-frère, savez-vous ce que répond le capitaine Loyola ? Si vous le devinez, je veux crever de male-soif ; ou plutôt, non, foin de ces funèbres pronostics ! je veux boire, boire jusqu’à ce que mes semelles suintent le vin !…

— Achevez, Joséphin, achevez…

« — Don Hercule, — répond superbement le capitaine Loyola, — en subornant Carmen, ce n’est pas ta femme que j’ai subornée… c’est une femme comme une autre !… Tu m’outrages en m’accusant de félonie ; tu vas payer cher cette insulte… Défends ta vie ! »

— Entendez-vous ? Peut-on imaginer plus odieuse subtilité ? — dit Christian à M. Jean. — Quelle hypocrite distinction ! Ce débauché a séduit cette infortunée ; mais ce n’est pas l’épouse de son ami qu’il a séduite… c’est la femme, en tant que femme !… Dieu juste ! subtiliser ainsi… au moment où le cadavre de la victime palpite encore !…


— C’est bien là l’homme que l’on m’a dépeint, — reprit l’inconnu d’un air pensif. — Tout ce que j’apprends est une révélation.

— L’issue du duel ne pouvait être douteuse, — poursuivit le franc-taupin : — le capitaine Loyola passait pour le plus adroit spadassin des Espagnes, il méritait sa renommée. Don Hercule tombe frappé à mort, Alonzo veut venger sa sœur et son beau-frère ; mais ce jeune homme est désarmé d’un tour de main par don Ignace, qui, l’épée haute, lui dit : « — Ta vie m’appartient ; tu m’as outragé en partageant les injurieux soupçons de don Hercule, qui m’accusait d’avoir trahi l’amitié en subornant son épouse… Va en paix, jeune homme, repens-toi de tes mauvaises pensées… je te pardonne !… » — Après quoi, le capitaine Loyola est allé finir sa nuit