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gauche. Ses cheveux bouclés, sa barbe taillée en pointe, sa moustache retroussée, son nez bourgeonné par l’abus du vin ; et sa bouche lippue, fendue de l’une à l’autre oreille, découvrait des dents de requin lorsqu’en vrai riard il se livrait aux accès de son imperturbable bonne humeur. Dès qu’il entra dans la salle basse, le franc-taupin déposa dans un coin sa vieille épée rouillée, embrassa sa sœur, ses deux enfants, tendit cordialement sa main à Christian, s’inclina respectueusement devant l’inconnu, et il s’assit timidement à sa place accoutumée. Christian vint en aide à l’embarras de son beau-frère et lui dit amicalement :

— Votre absence nous eût inquiétés, Joséphin, si nous n’avions su que vous êtes de ceux-là qui, l’épée au côté, défient tout… et tous.

— Ah ! beau-frère, la meilleure épée du monde ne nous défend pas de la surprise, celle que je viens d’éprouver m’a terrassé… Or, comme j’ai la surprise très-salée, je meurs de soif ; souffrez que je boive un coup… — Le coup bu, le franc-taupin ajouta d’un air effaré : — Ventre saint Quenet ! qu’ai-je vu là ?… Je suis certain de ne m’être pas trompé, il ne me reste qu’un œil, mais il est bon !…

— Quoi ?… qu’avez-vous vu, Joséphin ?

— J’ai rencontré tout à l’heure, à la tombée de la nuit, ici, à Paris, le capitaine don Ignace de Loyola, gentilhomme espagnol…

À ces mots, l’inconnu tressaillit, tandis que Christian disait au franc-taupin :

— Quel est donc ce capitaine dont la rencontre vous a causé tant d’étonnement ?

— Vous l’avez connu ? — reprit vivement M. Jean avec un accent de vif intérêt, — vous avez connu don Ignace de Loyola ?

— Pardieu ! j’ai été son page…

— Ainsi, Loyola a été capitaine ? — dit M. Jean, prêtant une attention croissante aux paroles du franc-taupin. — Vous avez quelques notions sur sa vie, sur son caractère, sur ses habitudes ?

— Ventre saint Quenet ! je ne l’ai pas quitté pendant trois mois !