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riant : — C’est une vieille et bonne devise ; en d’autres termes, sainte simplicité… Vous m’excuserez, madame, d’avoir parlé latin…

— À propos de latin, — reprit l’artisan, s’adressant à sa femme, — Lefèvre n’est pas non plus venu aujourd’hui ?…

— Non, mon ami, et comme toi je m’étonne de la rareté de ses visites ; autrefois, il se passait peu de jours sans qu’il vînt nous voir.

— Lefèvre est un très-savant latiniste, — dit Christian, s’adressant à M. Jean ; — c’est l’un de mes plus anciens amis ; il professe à l’Université. C’est un rude et tenace montagnard de la Savoie ; mais sous son âpre écorce bat un cœur excellent…

Christian fut interrompu par cette cantilène, chantée au dehors de la maison d’une voix assez forte pour qu’on l’entendît à travers la porte :

« Un franc-taupin, un arc de frêne avait,
» Tout vermoulu, à corde renouée,
» Sa flèche était de papier empennée,
» Ferrée au bout d’un ergot de chapon,
» Derideron, vignette sur vignon ! derideron ! ! »

— C’est mon bon oncle ; sa chanson favorite nous l’annonce ! — dit gaiement Hêna en se levant pour aller ouvrir la porte du logis au franc-taupin.


Joséphin, frère de Brigitte, surnommé Touquedillon-le-Franc-Taupin, entra bientôt dans la salle basse. Soldat d’aventure depuis l’âge de quinze ans, il avait quitté en vagabond la maison paternelle pour s’enrôler plus tard parmi les francs-taupins, sorte de milice irrégulière chargée, lors du siège des villes, de creuser les tranchées destinées à couvrir les approches des assaillants. L’on appelait ces soldats mercenaires francs-taupins, parce que, ainsi que les francs archers, ils étaient affranchis de l’impôt de la taille, et que leur travail souterrain ressemblait beaucoup à celui de la taupe ; mais sortis