Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 10.djvu/111

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

moine à barbe châtain-clair dont tu viens de me tracer un portrait si flatteur ?

— Ne m’as-tu pas dit, cher frère, que tu as été tantôt témoin d’une action touchante dont un jeune moine était l’auteur ?

— Sans doute.

— Eh bien ! sur-le-champ, l’idée m’est venue qu’il s’agissait peut-être du religieux dont je te parle…

— Et quel est-il ? où l’as-tu vu ? d’où le connais-tu ? — demanda d’une voix brève Hervé à sa sœur avec une sorte de jalouse angoisse à peine contenue. La naïve enfant, se méprenant sur le sentiment qui dictait les questions de son frère, lui répondit gaiement :

— Oh ! oh ! seigneur Hervé, vous êtes bien curieux ; achevez d’abord votre histoire, ensuite je vous répondrai.

Hervé, affectant aussi de prendre un ton plaisant, reprit en jetant sur sa sœur un regard profond et pénétrant :

— Oh ! oh ! demoiselle Hêna, vous me reprochez ma curiosité… pourtant la vôtre, ce me semble, égale la mienne… Il n’importe, soyez satisfaite… Donc, ce matin, je passais devant le porche de l’église Saint-Merry ; je vois un attroupement, je demande quelle en est la cause ; l’on me répond qu’un enfant de six mois à peine avait été déposé pendant la nuit sous le portail de la paroisse.

— Pauvre petite créature !

— En ce moment, un jeune moine fend la foule, prend l’enfant dans ses bras, et les larmes aux yeux, les traits empreints de la pitié la plus touchante, il réchauffe de son haleine les mains de ce pauvre abandonné, l’enveloppe soigneusement dans l’une des longues manches de son froc, et il s’enfuit aussi joyeusement que s’il eût emporté un trésor ; la foule l’applaudit, et j’entends dire autour de moi que ce moine, de l’ordre des Augustins, se nomme frère Saint-Ernest Martyr.

— Comment, Martyr ?… lui, si charitable ?…

— Tu ignores, ma sœur, qu’en entrant en religion, les moines