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versellement affectionné. L’intérêt qu’il inspirait aux gens de bien eût peut-être résisté à toute autre accusation ; mais comment ne pas maudire un empoisonneur ? Et le public, ignorant ce dont sont capables courtisans et royauté, de se dire dans sa simplicité : — « L’on n’oserait sans preuves, ou du moins sans de graves soupçons, articuler une si énorme accusation. » — Jacques Cœur, arrêté à Taillebourg, le 31 juillet 1451, comme empoisonneur, vit, même avant l’instruction de son procès, ses domaines mis sous la main du roi. Toutes les sommes saisies dans les coffres de l’argentier furent portées à Charles VII ; il s’adjugea d’abord cent mille écus d’or et fit largesses du surplus à sa maîtresse Antoinette de Villequier, à son honnête mari, à Dammartin, à La Trémouille, à La Fayette, à Gouffier et autres nobles barons, déjà débiteurs de la victime ; après quoi, l’on s’avisa de son procès, chose secondaire, le pillage des biens de l’accusé étant le principal. Mais pourriez-vous croire, fils de Joel, à tant d’audace dans l’iniquité ? Ce Gouffier, ce Dammartin, enrichis des dépouilles de l’argentier, présidèrent la commission chargée de le condamner ! Cependant, la prévention d’empoisonnement fut écartée ; les juges, malgré leur indignité, n’osèrent récuser le témoignage formel du médecin d’Agnès Sorel, qui prouva la véritable cause de sa mort ; ils accusèrent alors Jacques Cœur d’avoir voulu soulever le dauphin Louis contre son père Charles VII ; cette accusation tomba comme la première. Il fallait cependant condamner l’homme de qui l’on s’était à l’avance partagé les dépouilles ; on imagina d’autres griefs. On lui reprocha d’avoir appauvri la France en exportant du cuivre et de l’argent chez les Sarrasins ; — d’avoir altéré les monnaies à son profit ; — d’avoir commis des exactions en Languedoc. — Or, si Jacques Cœur exportait de l’argent et du cuivre pour les nécessités de son commerce, il importait de l’or en échange de ces métaux. — Loin de s’être prêté à l’altération des monnaies, indigné de cette infâme volerie, dont les rois de France tirèrent si longtemps d’énormes lucres, ce fut lui, au contraire, qui, par de sévères édits,